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Interview avec Al Sydy, conteur togolais confiné en France :« J’ai espoir pour l’Afrique »

Le conteur togolais Alassane Sidibe, plus connu sous le nom d’Al Sydy, est confiné en région parisienne.

Parti pour une tournée en France, le conteur togolais Alassane Sidibe, plus connu sous le nom d’Al Sydy, est confiné en région parisienne. Dans cet entretien qu’il nous a accordé via whatsapp, l’artiste raconte sa situation, reste optimiste par rapport à l’apocalypse que prédit l’OMS pour l’Afrique et pousse un coup de gueule contre les autorités de son pays.

Anani: Décrivez-nous le périple qui vous a amené à cette situation actuelle

Al Sydy: J’étais en tournée le 06 février à Paris et avais des dates un peu partout en France. Je suis passé par Nancy, Lyon, Montbéliard, Lozère, Epinal. Mon séjour devrait se terminer le 10 avril prochain et rentrer au pays. Mais après deux spectacles sur les 12 prévus, le mal a commencé à prendre de l’ampleur ici et très rapidement les organisateurs des événements ont commencé par envoyer des messages d’annulation de contrat, contraints justement par le mal qui a commencé par sévir.

Au début, il n’y avait pas que moi qui avais banalisé. Ici en France, tout le monde minimisait le coronavirus. Il se disait que c’est l’Italie et que la maladie n’arriverait pas en France. Et même, se disaient les Français, si cela arrivait, ça n’allait pas sévir comme l’Italie et qu’ils ont les moyens d’endiguer la maladie. Mais très rapidement, cela a tourné au vinaigre, pris la France de vitesse et plongé tout le monde dans une panique générale. Même ici les autorités ont minimisé la propagation de Covid-19. Cela a induit beaucoup en erreur et personne n’a vu venir la maladie.

Comment vivez-vous le confinement ?

C’est une situation que je vis dans la peur. Ça fait très peur. On est confiné à la maison, on ne fait rien. Tous les jours les médias véhiculent les messages de peur. Ce sont des images et des messages alarmistes et il n’y a rien qui fasse espérer. On vous dit un cas aujourd’hui et le lendemain, le cas est triplé voire quadruplé. Il n’y a pas une seule graine d’espoir dans ce que les médias envoient. Et cela fait vraiment peur.

Je vis le confinement comme tout le monde. Je suis hébergé par un couple d’ami en région parisienne à Pontoise. Quand la nouvelle de l’annulation des contrats est tombée, j’étais à Lyon et me suis précipité à Paris afin de pouvoir changer ma réservation et retourner chez moi. Mais ça n’a pas été possible. A Paris, c’était déjà impossible de changer son billet. Le confinement était total. Ce qui a porté l’estocade, c’est que le Togo a fermé ses frontières aériennes aux « pays à risque ». Je suis resté donc dans un premier temps à Fontenay-sous-Bois chez un ami conteur togolais et après je suis redescendu à Pontoise chez un couple d’ami conteur burkinabé. Ils sont très gentils et je ne sais comment les remercier pour leur aimable hospitalité. Je mesure la chance que j’aie d’être hébergé par cette famille.

Est-ce qu’il y a espoir tout de même ?

Oui, j’ai espoir. J’ai espoir que malgré ces nouvelles alarmistes, il y a des gens qui tiennent et ont espoir comme moi qu’un jour ça va finir. Il y a eu la grippe espagnole, des aléas des guerres, le virus Lassa, Ebola et c’est vrai que certains de ces maux-là n’ont pas eu les mêmes ampleurs que le Covid-19 mais ça va passer. Ce moment douloureux que nous traversons, doit nous inviter au recueillement et peut-être que la maladie est venue remettre les choses au point et nous faire comprendre à nous, humains, qu’on revienne à l’essentiel. Nous sommes dans une société capitaliste où l’humain n’est plus au centre de quoi que ce soit. Le matérialisme prime sur l’être humain et tout ce qui nous entoure. Je ne suis pas de nature pessimiste et trop plein d’optimisme non plus mais je prends la vie comme elle est et comme elle vient. Je pense que l’essentiel après cette hécatombe qui secoue la planète, est de revenir à l’essentiel et de chercher ce qu’il faut remettre à l’ordre, ce qu’il faut faire pour que le monde ne connaisse plus ce chaos-là.

J’ai espoir pour l’Afrique. Toutes ces nouvelles, tout ce que l’OMS et les oiseaux de mauvais augure annoncent pour l’Afrique, je n’y crois pas. C’est une voix intérieure qui me dit que ce ne sera pas ce que ces gens-là pensent de l’Afrique. Toutefois, j’exhorte nos gouvernants et les populations africaines à suivre les consignes. Je sais aussi que les consignes appliquées ici en Europe ne seront pas forcément les mêmes en Afrique parce qu’elles ne seront pas pour une grande part, en adéquation avec notre mode de vie. Il faudrait que les gouvernants travaillent avec les sociologues, des techniciens, des scientifiques afin d’élaborer d’autres consignes qui peuvent aller avec nos modes de vie, nos cultures et nos valeurs en Afrique afin de contrecarrer la progression du coronavirus. Si nous voulons suivre à la lettre les consignes venant de l’Europe, nous risquons de passer à côté de l’essentiel. J’ai espoir et ai confiance à nos scientifiques africains.

Nostalgique du Togo, votre pays ?

Evidemment, mon pays me manque, « La maison de l’oralité » que je dirige, ma famille, tout cela me manque. Etre loin des miens en ce temps de confinement où les nouvelles sont contradictoires. Mes enfants qui sont à la maison et je ne sais pas comment ils vivent même si le téléphone, le whatsapp sont là. C’est clair que la technologie ne peut pas remplacer l’amour qu’on porte à quelqu’un et qui plus est à son enfant et sa famille.

Et ce que je ne comprends pas, la France et certains pays européens rapatrient leurs ressortissants en Afrique et partout dans le monde alors que les Etats africains ne s’inquiètent pas du tout du sort de leurs ressortissants en Europe, l’épicentre de la maladie. Au moins qu’ils se préoccupaient de la situation de leurs ressortissants qui sont juste de passage en Europe et qui y sont bloqués. Nous artistes par exemple, sommes des ambassadeurs de nos pays et voulons y retourner mais rien ne se fait. J’ai appelé plus de mille fois le consulat du Togo ici et il n’y a personne au bout du fil. Personne ne veut décrocher. Du coup, on est dans un flou total. Et ça n’est pas digne d’un Etat qui se respecte, nous respecte et qui se soucie de nous. Partout où on va, c’est la culture togolaise, que nous chantons, que nous véhiculons. Si le Togo est mal vu sur certains plans, nous les artistes essayons de montrer le côté positif de notre pays. Et quand une situation comme celle que le monde vit actuellement arrive, il est bien normal que notre pays se tourne vers nous et cherche à s’enquérir de nos nouvelles. Je suis dans le regret de constater que rien ne se fait dans ce sens et c’est dommage.

Comment avez-vous appris la disparition de Manu Dibango, figure emblématique de l’Afrique ?

J’ai appris la disparition de l’artiste planétaire Manu Dibango terrassé par le Covid-19. C’était un effondrement total car il a bercé mon enfance. C’est un artiste dans le vrai sens du terme, très humain et fait partie des gens sur qui le monde, l’Afrique en particulier comptait. Ce que j’aime beaucoup chez lui, c’est sa vision de la musique et de l’artistique. Il a depuis très longtemps refusé le confinement des arts, le cloisonnement des formes d’art et a toujours œuvré pour la fusion. Pour reprendre les mots d’un grand musicien ici en France qui disait qu’avec Manu Dibango, il a découvert un jazz dansant.

C’est quelqu’un qui a su allier les rythmes traditionnels africains, le makossa entre autres au jazz. C’est ma vision des arts et donc j’ai trouvé en ce monsieur une réponse à ma question, à ma quête qui est celle de pouvoir fusionner le conte avec les arts, la musique ; la danse contemporaine avec le théâtre. Manu Dibango incarnait cette vision pour moi. C’est un grand baobab qui est tombé et quelques jours après on a appris le décès de Pape Diouf. Que Dieu ait leurs âmes.

Propos recueillis par Anani GALLEY, correspondant au Togo

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