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Sénégal : selon l’ONU, la détention de Karim Wade est « arbitraire »

Selon le Groupe de travail sur la détention arbitraire du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, Karim Wade, incarcéré depuis avril 2013, doit faire l’objet d’une « réparation intégrale » pour « détention arbitraire ». Ses avocats réclament sa libération immédiate.

C’est un camouflet dont les autorités sénégalaises se seraient bien passées. Dans un avis adopté lors de sa 72e session, du 20 au 29 avril (voir ci-dessous), le Groupe de travail sur la détention arbitraire, un organisme placé sous la tutelle du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, a estimé « arbitraire » la privation de liberté dont fait l’objet Karim Wade, détenu à Dakar depuis avril 2013 pour enrichissement illicite. En conséquence, l’instance onusienne « demande au Gouvernement de la République du Sénégal de prendre les mesures nécessaires pour remédier au préjudice subi, en prévoyant une réparation intégrale » au bénéfice de l’ancien « ministre du Ciel et de la Terre ».

Dans ce document de neuf pages, le Groupe de travail reproduit la litanie des manquements dénoncés depuis 2012 par la défense de Karim Wade, mais aussi par les principales organisations sénégalaises de défense des droits de l’homme. En ligne de mire : la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), une juridiction d’exception demeurée en sommeil pendant près de trente ans avant d’être ressortie du grenier par Macky Sall au lendemain de son élection. Faute d’avoir dépoussiéré ses statuts d’un autre âge, qui consacrent le renversement de la charge de la preuve, contournent le privilège de juridiction censé bénéficier aux anciens ministres et ne prévoient pas de double degré de juridiction, le gouvernement sénégalais est donc aujourd’hui épinglé pour « détention arbitraire », telle une vulgaire république bananière.

« Violation du droit international »

Parmi les griefs retenus par le Groupe de travail, qui avait été saisi par les avocats de Karim Wade : la durée abusive de sa détention préventive (23 mois entre son incarcération et le prononcé du jugement), en violation des textes sénégalais, de la Déclaration universelle des droits de l’homme, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ou encore de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ; des éléments constitutifs d’une violation de la présomption d’innocence de Karim Wade ; la rupture de l’égalité de traitement entre les prévenus (dont la majeure partie avait bénéficié d’une mise en liberté sous contrôle judiciaire).

Sur les cinq catégories de manquements susceptibles de constituer une détention arbitraire, le Groupe de travail en retient deux (les catégories I et III) : l’impossibilité « d’invoquer une base légale qui la justifie » et « l’inobservation, totale ou partielle, des normes internationales relatives au droit à un procès équitable”. C’est pourquoi l’instance onusienne « requiert la coopération pleine et entière de la République du Sénégal dans la mise en œuvre de cet avis pour effectivement remédier à une violation du droit international ».

Pour le gouvernement sénégalais, qui n’a pas encore réagi officiellement, la pilule sera dure à avaler. Apres avoir fait de l’affaire Karim Wade le dossier emblématique de la « traque aux bien mal acquis », celui-ci a en effet accumulé les critiques face à une procédure bancale, à des accusations d’enrichissement illicite insuffisamment étayées et à un procès entaché d’anomalies. Un malheur n’arrivant jamais seul, la justice sénégalaise avait rendu la semaine dernière une décision de relaxe générale à l’encontre de l’ancienne sénatrice du Parti démocratique sénégalais (PDS, opposition), Aïda Ndiongue, qui était poursuivie, avec trois co-prévenus, pour escroquerie et détournement de deniers publics. Un blanchiment inattendu qui a provoqué l’indignation du Ministère public et du parti présidentiel, l’Alliance pour la République (APR).

Énième désaveu

L’avis du Groupe de travail sur la détention arbitraire n’est pourtant que le énième désaveu en date auquel est soumis la CREI, une juridiction qui, au-delà de la garde rapprochée du président Macky Sall, fait depuis plusieurs mois l’unanimité contre elle. En février 2013 déjà, la Cour de justice de la Cédéao avait rendu un arrêt remettant en cause le contournement par la CREI du privilège de juridiction, qui prévoit qu’un ancien ministre doive comparaître devant la Haute Cour de justice. Sollicité en juin 2014 par le Groupe de travail, le gouvernement sénégalais, qui disposait de deux mois pour faire connaître ses observations, a répondu hors-délais.

« Cette décision implique la remise en liberté de notre client, affirme Mohamed Seydou Diagne, l’un des avocats de Karim Wade. Le Groupe de travail se référant à l’absence de base légale de son deuxième mandat de dépôt [en octobre 2013] et à l’inobservation du droit à un procès équitable, il ne fait pas de distinguo entre la période de détention provisoire et la peine de 6 ans de prison à laquelle Karim Wade a été condamné en mars. » Dans son article 7, rappelle en outre l’avocat, le Statut de Rome, instituant la Cour pénale internationale, qualifie « l’emprisonnement […] en violation des dispositions fondamentales du droit international » de crime contre l’humanité.

Source: Jeune Afrique

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