Musique de Syncope: jumelage entre musique nord-africaine et occidentale
«C’est un couscous royal magnifiquement orchestré avec un métissage d’ingrédients reggae et algériens dans toutes ses formes » : voilà comment Karim Ben Zaïd décrirait la musique de Syncope, son groupe d’origine algérienne qui a ouvert avec Zebda le festival Nuits d’Afrique, le 7 juillet dernier. Karim est de ceux qui sont pour la diversité ethnique et de ceux qui ont su bien jumeler les deux cultures : la culture ancestrale et celle du pays d’accueil, et ce, aussi bien à travers sa musique que dans sa vie personnelle.
Souad Belkacem: Vous êtes passé à Métropolis à Montréal, le 7 juillet dernier. Vous avez ouvert le festival Nuits d’Afrique 2015. L’ambiance était explosive. Quels sont vos sentiments?
Karim Ben Said: C’est sincèrement un grand honneur, non seulement d’ouvrir le festival Nuits d’Afrique mais aussi de chanter pour un public multiethnique. Sur scène, à un moment donné, je me suis demandé s’il y avait des gens de ma communauté et ma façon de le savoir était de demander aux dames de pousser des youyous. Grande était ma surprise de voir qu’il y avait un grand nombre de femmes nord-africaines, notamment algériennes. Aussi, cet honneur s’est accompli avec le fait d’ouvrir ce festival de renommé international avec Zebda. Un groupe que j’apprécie énormément et qui représente les Maghrébins et les Algériens en France.
Quand on m’avait appelé pour participer à ce festival, on m’a dit: « Zebda c’est un peu Syncope, car vous parlez tous deux de l’identité, de la frustration, des joies et des peines dans une musique festive qui porte un discours engagé ».
Comment ce discours engagé se définit-il dans vos chansons?
En tant que Montréalais et Algérien – et indépendamment du discours politique – je défends ces idées qui bannissent les différences et qui mettent en valeur la diversité. Dans la chanson La cabane à souk, à titre d’exemple, je fais allusion à deux convivialités communes : celle propre à notre communauté qui renvoie au rituel du marché du week-end en Algérie (le souk), et celle des Québécois qui renvoie à la cabane à sucre : deux rituels qui concernent deux peuples et qui ont le même caractère chaleureux…C’est de cette identité plurielle dont je parle.
Qu’entendez-vous par identité plurielle?
Lorsqu’on arrive à Montréal, on est juste Algérien. Au fil du temps, on devient Montréalais tout en gardant notre identité. Dès lors, c’est cette double identité qui nous définit. Et, le fait de savoir créer l’harmonie entre les deux nous fait avancer dans un pays d’accueil.
En parlant de la Cabane à Souk, celle-ci est chantée dans une musique reggae avec une tonalité méditerranéenne. Il s’agit d’un métissage musical intéressant. Un métissage qui joue parfois dans d’autres chansons avec la musique chaâbi, kabyle et sétifienne. Comment décrivez-vous le style « syncopien »?
Notre musique est aussi bien agrémentée qu’un couscous bien préparé de chez nous! Je dirai que c’est un couscous royal magnifiquement orchestré avec un métissage d’ingrédients reggae et algérien dans toutes ses formes : chaoui, Kabyle, raï, …etc. Les paroles sont tout aussi bien agrémentés car elles sont exprimées tantôt dans notre dialecte algérien, tantôt dans la langue française. J’ai la chance d’être francophone, donc je chante dans cette langue sans pour autant délaisser notre « algérien pur » qui est très présent dans mes morceaux. Il ne faut pas oublier que je suis de père sétifien* et de mère bougiotte*.
Nuits d’Afrique n’est pas le seul festival de Montréal auquel vous avez participé. Parlez-nous des autres festivals.
Affectivement, nous avons participé plusieurs fois au festival du Maghreb, aux Francofolies. Mais c’est en 2003 que Syncope a brillé en gagnant le prix du festival Francouvertes qui était le plus grand festival francophone d’alternative ici au Québec. Et à partir de là, on a décollé. Nos participations aux différents festivals du Québec commençaient à défiler.
Qu’en-t-il de festival hip hop?
Mais cela remonte à très très loin. Au début des années 2000 plus précisément! Cela me fait plaisir que vous en parlez, Souad. On ne m’avait jamais posée celle-là auparavant (rire) ! C’était la première fois que je fais du hip hop avec un groupe live. J’ai choqué beaucoup de monde. J’ai reçu plein de critiques, certes, mais mon groupe est ressorti finaliste. J’avais à l’époque Said Lebah comme guitariste-percussionniste et je chantais Moul Chach. C’était un autre style mais justement c’était toujours dans l’esprit du métissage musicale. Que de bons souvenirs.
D’autres expériences aussi «marquantes»?
Oui, j’ai déjà joué avec l’orchestre symphonique à Montréal à l’époque où il y avait des émeutes dans la métropole nord. J’ai même fait un contrat avec le cirque du Soleil en tant que chanteur en 2009. C’était exceptionnel et rigoureux à la fois: il fallait être à la hauteur et mettre des costumes assez spéciaux. Très belle expérience. On a fait partie d’une histoire.
Pour finir, pourquoi le pseudo Syncope?
En 2001, lorsque j’ai créé le groupe, je ne vous cache pas que j’ai pensé à un monde en syncope en pensant à la souffrance humaine et à ses peines traduites par les médias sans la moindre indignation. Du moins, je jugeais cette indignation minime, à cette époque.
Le deuxième sens de syncope revient à cette façon différente d’aborder le rythme musical : jumelage entre la musique nord-africaine et la musique urbaine occidentale, sachant qu’une syncope en musique est une note qui unit deux temps différents.
Propos recueillis pas Souad Belkacem
* Sétifien : originaire de la ville de Sétif (hauts plateaux du nord-est de l’Algérie).
*Bougiotte : originaire de la ville de Béjaïa (région kabyle à l’est de la capitale d’Algérie, Alger).
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