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Éliasse, porte-drapeau de la musique des Iles Comores à Montréal

ElIASSE, festival Nuits d'Afrique 2023, Montréal.

Dans le cadre de la 37e édition du festival international Nuits d’Afrique qui a eu lieu du 11 au 23 juillet 2023 à Montréal, le multi-instrumentiste comorien ELIASSE s’est produit au club Balattou le 13 juillet. L’occasion de nous faire découvrir la musique des Iles des Comores et d’ailleurs. Avant son concert, Afrikcaraibmontreal s’est entretenu avec lui pour parler de son parcours et sa musique aux rythmes métissés.

Vladis: Bonjour Éliasse. Bienvenue au Canada! Pour commencer, quelles sont vos impressions et vos attentes de votre première fois à Montréal comparé à vos tournées en Europe et en Afrique pour faire la promotion de votre dernier album sorti en 2019?

ELIASSE: Bonjour! Alors pour moi, c’est pas la première fois que je viens à Montréal mais c’est la première fois que je viens jouer avec mon propre projet. J’étais venu une première fois en 2005 en tant que musicien accompagnant un autre projet comorien qui s’appelle Maalesh, et donc là pour moi, pour mon nom, c’est la première fois que je viens présenter mon propre travail ici. Alors, moi j’ai beaucoup eu l’habitude de jouer devant un public complètement étranger des Comores qui ne me connait pas du tout, soit qui me connait juste vaguement et qui ne comprend pas ce que je raconte, et peut-être qui ne comprend même pas forcément musicalement ce que je propose, donc pour moi que ce soit à Montréal ou à Paris ou même à Bordeaux, et pourtant j’habite à une heure de Bordeaux, c’est pareil parce qu’il n’y a pas une grosse communauté qui suit mon projet. Ce sont des mélomanes qui viennent petit à petit et la masse qui écoute ce que je fais sont des étrangers. Donc cet exercice, il est déjà installé à mon égard, donc sur ce côté-là je m’attends pas plus que ce qui m’attendait il y a deux jours à Montreux au festival de jazz et c’était complètement 100% que des étrangers donc ça va être pareil.

Vladis Lim: C’est intéressant du point de vue musical parce que Montréal a accueilli ces derniers jours le Festival de jazz et le festival Les Francos juste avant, et le festival Nuits d’Afrique et d’autres événements musicaux prennent le relais avec des programmations éclectiques. Vous aussi, vous mélangez plusieurs rythmes et styles d’origines très variées, alors ma prochaine question portera sur votre identité musicale et comment ça change entre les albums, depuis votre premier Marahaba en 2008 et votre deuxième Amani Way! en 2019.

ELIASSSE: Alors ce prochain album, la différence qu’il aura en fait, c’est que c’est une synthèse des deux albums. Le premier album, je l’avais enregistré presque en acoustique, c’était une guitare et une basse et beaucoup de percussions et chants, parce que c’est de la que vient la musique traditionnelle des Comores. Et dans cet album-là déjà il y avait un titre qui s’appelle «Za n’gomani» qui veut dire «tout ce qui vient des rythmes», sous-entendu des rythmes traditionnels. C’était en 2008, et donc pour le troisième album là on a pris la direction beaucoup plus rock au niveau du son, par exemple j’ai beaucoup mis en avant la guitare électrique. Donc le lien avec le premier album c’est que j’ai mis en avant aussi les percussions et les rythmes traditionnelles, et le lien avec le deuxième album c’est qu’on a gardé le côté basse / batterie, blues et rock. L’idée c’était de faire comme si on était en évolution soit l’intro, le développement et la conclusion des deux albums. Il va s’appeler zangoma justement, en lien avec le titre qui est sur le premier album parce que ça parle des rythmes, de la richesse rythmique qu’on a aux Comores, qui n’est pas du tout connu. Je dis souvent, c’est pas péjoratif, mais, par exemple, à la Réunion ils peuvent dire, moi je fais du electro-maloya ou du reggae-maloya ou du maloya pur ou du sega, mais on est très très métissé, on a beaucoup de rythmes, et je pioche dans tous ces rythmes-là, et donc à chaque fois les gens se disent, ah oui ça c’est différent, ça prend une direction mais on n’a pas de nom. Donc c’est là d’où vient l’idée de donner une identité à tous ces rythmes-là, donc le zangoma.

Vladis Lim: Quelles sont vos plus grandes influences musicales qu’elles soient de la Réunion, d’Afrique ou d’ailleurs?

ELIASSE: Alors moi, certes que je m’inspire surtout de la musique comorienne. Il y a un artiste qui s’appelle Baco qui vient de Mayotte justement, et c’est lui d’ailleurs qui a créé ce nom générique «Zangoma». C’est quelqu’un qui m’inspire beaucoup, il a une philosophie et une façon justement d’aborder la musique, et donc déjà localement ce sont des gens comme Baco, Maalesh qui m’ont beaucoup inspiré, qui font des choses différentes même s’ils viennent du même coin. Il y aussi des styles traditionnels comme et le taarab qu’on entend tous les jours à la Grande Comore et le m’godro qu’on entend beaucoup plus à Mayotte et dont moi, je m’inspire beaucoup rythmiquement. Puis à la Réunion, il y a un instrument qui s’appelle le kayamb/caïambe, et nous on l’appelle le kayamba aux Comores, plus petit et sous un autre format, et même si je n’ai jamais vécu à la Réunion bien que j’y vais souvent, le maloya c’est la musique qui me parle énormément jusqu’à ce que le kayamb réunionnais, je le joue avec moi sur scène dans mon spectacle et à la façon réunionnaise pour pouvoir justement avoir ce côté un peu réunionnais alors que l’instrument existe aussi chez nous.

Vladis Lim: Vous avez collaboré avec le groupe légendaire sénégalais Touré Kunda dans votre morceau Endra, le troisième single de votre dernier album. Vous aviez aussi des chanteuses et des danseuses sénégalaises dans les vidéos. Quels sont des artistes d’autres pays africains qui vous ont marqué le plus?

ELIASSE: Oui, c’est le Sénégal bien sûr, un grand pays qu’on a tous écouté, sois en allant chercher, soit en écoutant la radio, le Toure Kunda d’ailleurs j’en ai écouté tout petit vraiment et c’était une chance de les rencontrer et qu’ils acceptent de collaborer. Il y a aussi le Congo, une grosse influence, et par exemple, Lokua Kanza que j’ai beaucoup écouté et j’apprécie. Il y a un autre, Lionel Louéké, j’ai oublié d’où il vient (originaire du Benin – V.L.) qui ne fait pas que du traditionnel mais justement un mélange qu’il fait entre le trad et le jazz. C’est vrai que je n’écoute pas beaucoup plus les albums mais j’écoute les impros souvent en solo et où l’Afrique est forcément présente, dans les oreilles et dans le cœur. J’ai donné deux exemples d’artistes qui jouent à la guitare, mais il y a aussi d’autres comme Keziah Jones et sa façon d’aborder la guitare m’a permis de me libérer, de se lâcher et pourtant je ne viens pas d’une école mais classique à la Maalesh qui est très arpège, très mélodique. Et puis Richard Bona du Cameroun, il est plus connu pour la basse mais j’aime bien aussi ce qu’il fait de sa voix, j’adore son côté chanteur et presque choriste tout seul quand il fait des impros avec les pédales, etc. C’est un très grand monsieur avec beaucoup de respect.

Vladis Lim: Vous avez parlé des éléments du blues dans vos anciennes entrevues, beaucoup d’artistes africains expérimentent avec ce style dont les exemples les plus célèbrent se trouvent au Mali (Ali Farka Toure, Songhai Blues) et vous ne faites pas l’exception. Est-ce que vous avez déjà pensé à avoir réinventé le blues de votre façon, être pionnier du blues comorien pour en faire une partie de votre identité musicale?

ELIASSE: Non [rires], je n’ai pas osé de le dire, mais je pense que je l’ai beaucoup plus assumé. S’il y en a d’autres qui l’ont fait ils ne l’ont peut-être pas assumé. J’ai assumé ce côté blues et rock tout en gardant un côté traditionnel. Parce que je travaille aussi les vieilles chansons traditionnelles que je peux aller piocher un petit bout, par exemple, le refrain, et je garde la phrase et la mélodie pour que les comoriens puissent repérer. Et puis j’ai j’écris des textes contextualisés par rapport à ce qui a été écrit il y a peut-être un siècle. Et l’exemple de la chanson Endra avec Touré Kunda c’est exactement ça. Au départ c’était une vieille chanson traditionnelle et j’ai écrit une histoire d’amour à travers mon pays tout en gardant le refrain et la phrase d’une chanson traditionnelle.

Vladis Lim: Cette chanson d’ailleurs exploite la diversité linguistique comme elle est chantée en créole réunionnais et en wolof. Vous utilisez aussi l’anglais, le français et le swahili dans vos chansons, tout comme les dialectes comoriens. D’où vient ce choix qui ne parait pas très évident à la première écoute?

ELIASSE: Effectivement, aux Comores, on a 4 dialectes, et moi à la maison systématiquement j’en parle deux parce que ma mère vient d’Anjouan et mon père de la Grande Comore, et quand on parle du même sujet je vais switcher en anjouanais ou en grand-comorien. Donc c’est déjà cet exercice je l’ai eu depuis tout petit à Mayotte et je rêvais de faire des études de langues. Donc je me suis dit quand j’ai commencé à créer des chansons, c’est le mot qui va sonner le mieux et si ça sonne mieux en anjouanais, en shimawore, en swahili, etc. c’est ce que je vais utiliser même si j’ai déjà commencé à écrire dans un autre dialecte. Si ça sonne mieux en français, je le mets en français, et ainsi de suite. Alors dans une seule chanson, je peux commencer à écrire en grand-comorien, au milieu je suis en anjouanais, et à la fin j’ai un bout en français, et je ne m’enferme pas sur ça, au contraire je trouve que c’est une ouverture même si c’est vrai que ça peut compliquer l’écriture. Même aux Comores, il y a des Comoriens qui ne peuvent pas comprendre tel ou tel mot que j’ai choisi parce ça vient d’une autre île. Même si nos dialectes sont proches et qu’on se comprend il y a des mots que si tu n’as pas voyagé ou les as pas entendus, tu ne pourras pas les connaître. Et moi je fais ce jeu-là parce que c’est un jeu que j’ai eu depuis tout petit.

Vladis Lim: Merci pour l’entrevue! Nous sommes heureux de vous accueillir à Montréal dans le cadre du festival Nuits d’Afrique tout en anticipant la sortie de votre nouvel album «Zangoma». Votre dernier mot au public?

Eliasse: Oui, l’album paraitra en février 2024. Merci également, c’était super intéressant et pour le public, je dirai «Les îles de la lune viennent vers vous, venez chercher une étoile! Marahaba so much!»

Propos recueillis par Vladis Lim

Voici un extrait vidéo sur son concert du 13 juillet 2023

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