Opinion/L’accueil boiteux des réfugiés syriens en Afrique du Nord
Septembre 2015 : début de la crise des migrants en Europe. La France prend l’initiative de recevoir 24 000 réfugiés, conformément au plan de répartition de la Commission européenne. Mais c’est L’Allemagne, ce pays symbole d’humilité qui délivre un chiffre de 28 000 réfugiés pour parler aujourd’hui de 500 000, voire un million de réfugiés. Le Canada compte accueillir 25 000. Les États-Unis parlent de quelque 10 000 réfugiés, et ce, en dépit des cinquante États qui refusent d’accueillir des réfugiés syriens après les attentats du 13 novembre à Paris. Ce sont là des chiffres publiés et republiés sur les plus grands médias dans le monde. Mais ces mêmes médias semblent ignorer ou inexplorer les chiffres liés aux déplacements des réfugiés syriens dans d’autres régions.
L’Agence des Nations Unis pour les réfugiés (UNHCR) comptait, en début d’année 2015, 11,7 millions de déplacés syriens, sur une population de 23 millions de personnes, soit plus de la moitié. Une partie de ces Syriens ne sont pas allés en France, en Allemagne, encore moins en Autriche ou en Croatie en début de guerre. Ils se sont plutôt dirigés vers le Proche-Orient et vers l’Afrique du nord. Parlons de cette dernière région.
Environ 24 000 réfugiés syriens ont été accueillis en Algérie depuis le début de la guerre civile en Syrie en 2011, selon des chiffres révélés en septembre 2015 par la ministre algérien de la Solidarité, Mounia Meslem. En faisant cette annonce, cette ministre déclare que l’Algérie est le seul pays nord-africain ayant accueilli autant de réfugiés syriens, ajoutant qu’« ils sont les bienvenus sur le territoire algérien ».
Le département de la solidarité avait prévu la scolarisation des enfants de familles syriennes, le placement de ces dernières dans des camps, dans des centres d’accueil, dans des écoles primaires ou dans des chalets. Il avait prévu aussi la légalisation du travail des Syriens et fait d’autres promesses liées à leur intégration. Pour leur intégration dans le marché du travail, la présidente du Croissant rouge algérien (CRA), Saida Benhabyles, avait prévu de faire le nécessaire pour placer ces réfugiés dans des activités commerciales ou artisanales. Ces promesses sont-elles tenues?
Accueillir oui, mais dans quelles conditions?
La volonté est là mais les moyens ne suivent malheureusement pas cette démarche humanitaire. Pourtant la ministre de la Solidarité d’Algérie et la présidente du CRA étaient très fières de l’action de l’État algérien envers ces réfugiés et de la chaleur du peuple qui va avec. Une solidarité à laquelle nous assistons depuis 2011. Il faut rappeler que l’Algérie doit à la Syrie une reconnaissance historique. Le premier résistant à l’invasion française de 1830, l’émir Abdelkader, a trouvé refuge à Damas et a été suivi par quelque 12 000 Algériens à partir de 1855.
Tout cela a l’air beau dans le meilleur des mondes. Mais la réalité n’est pas aussi parfaite. Un tour dans la Wilaya d’Alger nous révèle que seulement une centaine de familles syriennes ont été prises en charge dans le centre d’accueil de la Wilaya d’Alger. Une situation que Mme Benhabyles ne nie pas. Manque de structure? Ce n’est pas ce que dirait la présidente du CRA qui relie ces soucis aux mentalités des réfugiés, qui refusent de rester au sein des centres d’accueil. « Nous ne pouvons pas les enfermer ou les obliger à rester, telle une prison », se désole-t-elle. Mais si les conditions des centres d’accueils offraient des conditions décentes aux réfugiés, ces derniers ne refuseraient pas un toit et un repas chaud pour sortir mendier dans les rues. Depuis 2011, ils sont de plus en plus nombreux à errer dans les quartiers d’Alger et ses banlieues. Certaines familles se dirigent avec leurs enfants vers les littorales du pays pour moins concurrencer en terme de mendicité avec les autres réfugiés sub-Sahariens. Car, il faut le préciser, environ 31000 réfugiés (clandestins ou non) vivant en Algérie sont issus de la région du Sahel. Certains réfugiés qui viennent également de la Lybie, vivent majoritairement dans le sud algérien, notamment à Ouargla et à Touggourt.
Ainsi, en quête de nourriture, d’argent, de médicaments et d’habits, nombreux sont ces réfugiés syriens qui quittent la métropole pour aller mendier dans les petits villages. Femmes et enfants tiennent des pancartes résumant, dans un arabe classique parfait, leur désespoir. Ces Syriens sont, pour la plupart, des gens instruits et diplômés. Une jeune mère nous confie qu’elle était enseignante dans son pays. Aujourd’hui, cette femme fait du porte à porte à la recherche de nourriture ou d’habits pour ses deux fils. Inutile de préciser que ceux-ci ne sont pas scolarisés, et pourtant ils sont en âge de l’être.
Aujourd’hui, un dépôt d’une entreprise publique spécialisée dans la collecte des déchets domestiques nommée Netcom sert de refuge aux Syriens. C’est dans ce dépotoir que le gouvernement algérien a placé les familles syriennes. Une station balnéaire du littoral ouest d’Alger appelé Sidi Fredj devient également un refuge pour les familles syriennes, pour la plupart composées de femmes et d’enfants. Les hommes, eux, sont placés dans d’autres communes (circonscriptions) de la capitale. Une consœur algérienne, Amina Boumazaa, nous raconte qu’aujourd’hui les réfugiés syriens continuent de se déplacer vers les petites villes, particulièrement à Sidi Fredj. On les voit souvent mendier au bord de l’autoroute mais on les voit de moins en moins en ville. Ce sont plutôt les Subsahariens qui vivent en nomade dans la capitale et ses alentours.
L’État algérien n’a pas assumé ses décisions relatives à la prise en charge des milliers de Syriens. La plupart d’entre eux sont livrés à eux-mêmes. Les autorités algériennes, sous l’ordre de Mme Meslem, ferment les yeux sur la mendicité des Syriens de manière à assouplir les procédures de contrôle des familles. Ainsi, l’État admet la misère des Syriens en Algérie mais ne fournit pas plus d’effort pour améliorer leurs conditions de vie.
La Mauritanie ne fait pas exception
Isselmou Hanafi, un autre confrère mauritanien, témoigne : « des centaines de Syriens sont arrivés en Mauritanie par des moyens qu’on ignore. Ils se sont vite mués en mendiants dans les rues de Nouakchott, la capitale mauritanienne. Le plus souvent sous les feux rouges des grands axes de la capitale, avant d’envahir le carrefour Madrid –Toujounine, l’un des axes principaux de la capitale. »
Comme la plupart de nos confrères au Maghreb, Isselmou se pose des questions : «pourquoi ces réfugiés ont quitté leur camp d’hébergement pour se fondre dans la population et se muer en mendiants ? Et pourquoi les autorités n’ont rien fait pour scolariser les enfants en âge d’aller à l’école ? De l’Algérie en Mauritanie la même situation se pose : ces pays ne sont pas préparés à recevoir des réfugiés. Si ces réfugiés quittent les camps, c’est parce que les conditions manquent de décence.
Bien que le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) fournisse protection et assistance à quelque 48 000 réfugiés dans le camp de Mbera, une région isolée située entre le Mali et la Mauritanie, les Syriens souffrent toujours de misère. L’aide extérieure ne semble pas être suffisante pour améliorer la vie des Syriens en Mauritanie. La preuve est que ces derniers se trouvent toujours dans les rues de Nouakchott, fuyant les camps retirés qu’on leur réserve.
Quand la religion se mêle à l’immigration au Maroc
En mars dernier, une vingtaine d’immigrés clandestins syriens sont arrêtés à Saïdia, situé à la frontière entre le Maroc et l’Algérie. Une quinzaine d’entre eux ont été expulsés vers la Turquie. Certains, dont une femme enceinte et des enfants, restent bloquer à l’aéroport international Mohammed-V, à Casablanca. Ils attendent leur tour d’expulsion, des semaines durant.
Cet exemple en dit long sur les conditions d’accueil des réfugiés au Maroc, par où quelque 3 000 réfugiés syriens ont transité depuis 2011 pour rejoindre l’Europe. Une bonne moitié d’entre eux l’ont fait via l’Algérie. D’autres sont restés et se sont installés principalement au pied des montagnes de l’Atlas marocain à Marrakech et à Beni Mellal, selon des journalistes marocains. Ceux-ci n’ont pas omis de nous décrire l’état des lieux dans les villes du Maroc. Le tableau n’était guère loin de la réalité à laquelle nous avons assisté en Algérie: les Syriens vivent dans des conditions très précaires et indécentes. Dépassées par les évènements, nombre d’associations qui devaient créer des campements pour les réfugiés n’ont pas su tenir leur promesse. Les organismes, non plus, ne sont pas arrivés à mettre en place des mesures pour leur venir en aide. Résultats : les réfugiés syriens sont très nombreux à vivre la misère au Maroc.
Hormis le problème de la pauvreté que vivent les réfugiés syriens dans ce pays, ceux-ci rencontrent d’autres soucis d’ordre politico-religieux. Le chargé des relations extérieures au HCR à Rabat, Marc Fawe, affirme à un journal arabophone marocain Essabah (Le Matin) que le gouvernement a interdit en 2013 de fournir une aide alimentaire aux Syriens, rappelant que le Maroc s’était pourtant engagé à prendre les Syriens en charge et ne pas les expulser. Que s’est-il passé en cette période?
Le journal arabophone Essabah évoque la présence de Syriens chiite parmi les réfugiés. Et qui dit chiite, dit pratiques islamiques activant en opposition au régime chérifien qui s’inspire de l’islam sunnite. Hors, il se trouve que 98 % des demandeurs d’asile syriens sont sunnites, selon le HCR. Un chiffre qui décrédibilise la peur des pouvoirs marocains face à une menace fantôme de prosélytisme chiite.
S’ajoute à ces peurs infondées, l’éventuelle présence de réseaux djihadistes dans le flux grandissant des Syriens se déplaçant au Maroc. Mais admettons qu’une telle inquiétude ne devrait pas étonner, puisqu’elle existe partout dans le monde, en Europe particulièrement. Enfin, nous n’avons pas besoin de s’étaler davantage pour décrire la situation des Syriens au Maroc.
Cela ne veut pas dire, cependant, que le Maroc n’a pas l’intention de régulariser la situation des réfugiés. Si certains départements se montrent hostiles envers les Syriens, d’autres font en sorte d’améliorer leurs conditions de vie. Le roi du Maroc, Mohammed VI avait prévu une régularisation prochaine de 500 réfugiés syriens. 459 dossiers étaient déjà à l’étude.
« Le ministère de l’Immigration avait tenu une réunion pour évaluer la possibilité d’accepter les dossiers d’un certain nombre de demandeurs d’asile syriens », indique le porte-parole du gouvernement, Mustapha El-Khalfi, en septembre dernier. L’étude des dossiers en question, dépendant du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), est toujours en cours. Un mois avant, le roi du Maroc annonce l’octroi de visas d’entrée pour les ressortissants arabes, dont les Syrie. Mais encore une fois : cela ne suffit pas.
Une présence timide des Syriens en Tunisie
En Tunisie, la présence des réfugiés syriens est beaucoup plus timide. Cela doit être lié à la situation politique bouleversée en ce moment dans ce pays. Il n’en demeure pas moins que la Tunisie, dans l’attente de l’adoption d’une loi sur l’asile, accueille en ces temps de guerre des réfugiés, notamment des Syriens. Ceux-ci ne sont pas aussi nombreux dans les rues de Tunis que dans celles d’Alger, de Nouakchott ou encore de Marrakech. Leur nombre exact est inconnu à ce jour, selon les journalistes tunisiens contactés. L’on parle de 2 500 et 3 000 mais seulement 164 réfugiés syriens se sont identifiés, car la plupart évitent le recensement de peur d’être refoulés, selon un responsable du service du HCR cité par le journal français Le Monde.
La Tunisie est aidée par le HCR qui veille à ce que les réfugiés syriens jouissent des services publics. Mais comme ses voisins, ce pays manque des structures qui fournissent protection et assistance et les organisations locales qui répondent aux besoins spéciaux des migrants.
En plus des réfugiés vivant dans les camps en Algérie, en Mauritanie et au Maroc, ou encore en Tunisie, nombreux sont les Syriens qui se réfugient dans des zones urbaines. Pas moins de 155 000 Syriens se trouvent dans la sous-région d’Afrique du Nord, dont environ 140 000 en Égypte, un pays dont le destin n’est pas très loin de celui de la Syrie.
Questions de moyens?
Il est vrai que les conditions sociales en Algérie sont précaires (chômage croissant, problèmes de corruption, pauvreté…) et que son économie est instable (inflation perpétuelle, baisse du prix du pétrole, ce produit représentant 97% de ses exportations) et que les séquelles du terrorisme n’ont pas arrangé les choses, sans parler de cette politique exacerbée qui garde au pouvoir un président en très mauvaise santé depuis 2013. Dans un pays comme celui-ci, une offre d’immigration devient un cadeau quasi empoisonné, car on leur offre la sécurité dans un pays où ils ne risquent pas d’être tués mais on ne leur offre pas la vraie dignité humaine. L’Algérie n’est qu’un exemple parmi d’autres. La politique et les conditions sociales des autres pays avoisinant ne se portent nullement mieux.
Lors d’une conférence organisée au mois de novembre 2015 à Montréal et intitulée Guerre, réfugiés et révolution, le professeur d’études islamiques contemporaines à l’université d’Oxford, Tariq Ramadan précise : « Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est une solidarité internationale pour surmonter cette crise migratoire. »
À une question posée en marge de la conférence sur les moyens déployés par ces pays au profit des Syriens, M. Ramadan répond : « Les pays d’Afrique du nord ont les moyens d’accueillir des réfugiés à long terme. C’est en court terme qu’ils n’en ont pas. »
A court terme, ces pays ne sont pas préparés à accueillir un nombre aussi important de migrants, car ils sont loin d’être préparés en termes de structures, d’organisations, voire de culture. Ce ne sont pas des pays habitués à l’immigration en général.
A long terme, les donnes changent. Avec plus de volonté et d’organisation, ces pays pourraient accueillir davantage ceux qui fuient la guerre et pourraient surtout les accueillir dans de meilleures conditions. Les pays du Maghreb ont les moyens financiers. Ce sont les moyens stratégiques qui leur manquent. Ces derniers peuvent être développés avec un peu plus de volonté, selon le conférencier.
Est-ce qu’il existe ne serait-ce qu’une association activant dans l’immigration dans ces pays? Négatif. Inutile de mentionner qu’il n’y a jamais eu un ministère ou un organisme qui traite les affaires d’immigration. En Algérie, comme nous l’avons vu plus haut, c’est le ministère de la Solidarité qui prend en charge les immigrants. En d’autres termes, l’immigration n’est qu’un volet parmi d’autres du département qui, à vue d’œil, est déjà débordé par les soucis sociaux internes avant de l’être par l’immigration. Il serait trop demander à la nouvelle ministre qui semble être de bonne foi, de gérer un tel afflux de migrants dans une société où on n’est pas prêt de le faire en une aussi courte durée.
M. Ramadan estime, par ailleurs, qu’il faudrait que les États du Golf soutiennent financièrement les autres pays qui accueillent les réfugiés syriens. Ce qui n’est pas le cas.
L’Arabie saoudite, Bahreïn, Émirats arabes unis, Koweït, Oman ou au Qatar sont montrés du doigt depuis la crise migratoire. Un dessin résumant l’indifférence de l’Arabie Saoudite fait le tour de l’Afrique et de l’Europe. Des ONG (Organisations non gouvernementales), telles que Amnesty international, s’indignent du désintéressement délibéré de ces pays riches, sans aucun de ces pays ne bougent ou ne réagissent. Aucun écrit lié à la crise en Syrie n’a été communiqué par les autorités de ces pays, encore moins proposé un plan d’aide aux réfugiés syriens, peut-on lire sur Gulf Times, un quotidien qatari.
« La configuration actuelle par rapport à la nouvelle migration s’avère difficile dans ces petits états du Golf. Car, la population des Arabes qu’ils soient Saoudiens, Qataris ou du Bahreïn ont déjà une émigration en surnombre. On pourrait se poser la question, est ce qu’ils s’en sortiraient s’ils accueillaient des Syriens. »
Il y a donc des considérations politiques, certes, mais Tarik Ramadan est persuadé que tous ces pays riches, peuvent investir financièrement dans l’accompagnement des réfugiés, chose qu’ils ne font pas.
Ces pays trouvent une échappatoire politique en injectant quelques milliers de dollars dans les pays du Proche-Orient submergés par les afflux des migrants syriens depuis 2011. Ce qui reste très insuffisant. De plus, comme ceux de l’Afrique du nord, ces pays ne sont pas préparés à un tel afflux.
De 2001 à 2013, le nombre des réfugiés syriens est passé de 133 000 à 800 000 au Liban. Il a doublé en Turquie et en Jordanie pour passer respectivement à 2 millions de personnes et 1,1 million, cette année, selon les chiffres communiqués par la HCR qui a pris en charge plus de 4 millions de réfugiés syriens au Proche-Orient depuis le début de la guerre en Syrie en 2011. Une autre aide est fournie par l’UE (Union européenne), dont le montant est d’un milliard d’euros injectés dans les agences des Nations unies investies dans l’aide aux réfugiés syriens au Proche-Orient. Mais ces pays demeurent dépassés.
Nous ne le dirons jamais assez : la volonté ne suffit pas pour accueillir les réfugiés dans des conditions décentes. La richesse ne suffit pas non plus à elle seule. Les pays d’Afrique du nord et du Proche-Orient ont la première. Les pays du Golf ont la deuxième.
Il faut une politique de solidarité et une autre de stratégies qui répond aux besoins de la vague migratoire à laquelle assiste le monde actuellement. A défaut, l’accueil des migrants est voué à l’échec, comme nous le voyons dans les pays d’Afrique du nord, actuellement.
Par Souad Belkacem
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