Les Aunties: neuf musiciennes divorcées qui s’érigent en défenseuses des droits des femmes
Le groupe de musique tchadien les Aunties, constitué de neufs femmes divorcées, s’est produit le 20 juillet dernier à Montréal, lors de la 38e édition du festival international Nuits d’Afrique. Afrikcaraibmontreal a profité de l’occasion pour s’entretenir avec Justine, une des neufs femmes du groupe. Elle est revenue sur le parcours des Aunties, dont la marque de fabrique est le militantisme en faveur des droits des femmes au Tchad.
ACM: Bonjour Justine, vous (les Aunties) avez fait une belle performance lors de votre concert du 20 juillet dans le cadre de la 38 édition du festival international Nuits d’Afrique, à Montréal. Le public était vraiment content. Comment trouvez-vous le public montréalais?
Justine: Voyant le public émerveillé, j’étais vraiment contente d’être sur scène, J’avais juste envie de rejoindre le public et danser avec eux. Mais j’ai décidé de rester sur scène pour continuer à garder la cadence jusqu’à la fin du concert. Sinon, j’étais très très heureuse de voir le public bouger.
ACM: Merci. Donc on voit que votre groupe les Aunties est constitué uniquement de femmes. Comment le groupe s’est-il formé?
Justine: Nous sommes neuf femmes, comme vous avez pu le constater sur scène. Nous sommes des femmes qui ont été mariées. Nous avons des enfants. Mais malheureusement dans nos foyers, nous avons subi beaucoup d’injustice sociale de la part de nos hommes. Ils ne payaient pas de loyer et ne s’occupaient même pas de nos enfants, même pour payer les frais de leur scolarité. Nous n’avons pas eu la chance d’aller à l’école, Donc nos maris profitaient de cela, car nous n’avions pas d’activités génératrices de revenus. Nous avions tellement subi d’atrocités de la part de nos hommes qu’à un moment donné, on a craqué et on a demandé le divorce.
Mais en demandant le divorce, nous savions que désormais nous devrions nous prendre en charge nous-mêmes, prendre en charge aussi nos enfants. C’est pour cela que nous nous sommes réunies pour pouvoir, dans un premier temps, pour composer des chansons et essayer d’extérioriser nos frustrations parce que nous n’avions pas eu la chance de faire face à nos hommes et leur exprimer clairement ce que nous vivions comme douleur.
Les Aunties, c’est un groupe d’amis à la base qui se retrouvaient pour composer des chansons juste pour se soulager dans un premier temps. C’est comme ça que le groupe s’est formé.
ACM :Et quand est-ce que votre groupe est né?
Le groupe s’est formé il y a deux ans. En 2019, quand Afrotronix, leader du groupe, s’est rendu au Tchad pour chercher les sonorités traditionnelles du pays pour ajouter une touche particulière à son album qui allait sortir. Quand il était venu au Tchad, il a travaillé avec plusieurs groupes ethniques, parmi lesquels figure les Aunties. C’est ainsi que nous lui avions proposé nos chansons de consolation. Mais Afrotronix, comprenant la teneur de nos chansons, avait décidé que nous devrions les chanter nous-mêmes, pas lui.
C’est ainsi qu’il nous a proposé de créer un groupe pour transformer nos chansons en cri de guerre et d’espoir.
ACM: Et quel impact cela a eu auprès d’autres femmes au Tchad?
Nos chants ont eu beaucoup d’impact sur la société traditionnelle. Car partout ou on part, on essaye de traduire nos maux en chanson. Cela a eu un impact sur les femmes dans la région du sud d’où nous venons, mais aussi au nord du pays, et même ailleurs en Afrique, car on joue nos chansons à la radio et à la télévision.
Il y a des femmes qui se retrouvent dans notre situation: elles souffrent en silence mais elles n’ont pas le courage que nous, nous avions eu. On a eu beaucoup de témoignages de femmes qui se reconnaissent dans nos chansons. Elles trouvent que nos chansons les interpellent.
Donc cela a créé un éveil auprès des femmes, mais aussi auprès des hommes.
ACM: Est-ce qu’au delà de la musique, vos organisons des activités de sensibilisation sur les droits de la femme?
Nous faisons de la sensibilisation à travers nos chants et la calebasse. Et puisque que nous avons maintenant l’occasion de sortir du Tchad ou de faire des tournées à l’intérieur du pays, ça nous donne l’occasion de véhiculer nos messages, d’expliquer ce que nous faisons à ceux qui ne comprennent pas les paroles de notre musique.
ACM: Avez-vous des projets à court ou long terme?
À court terme, nous avons prévu une tournée en novembre 2024 en France et nous travaillons actuellement sur un album, dont la date de sortie n’est pas encore fixée.
À long terme, étant toutes commerçantes, nous comptons multiplier des activités génératrices de revenus, des pour subvenir pleinement à nos besoins. Un financement pourrait nous aider à réaliser ce projet qui nous tient vraiment à cœur.
Pour le moment, nous vendons divers produits au marché. Chacune de nous a sa petite entreprise qu’on aimerait agrandir. Nous travaillons fort pour essayer de trouver des financements.
ACM: Avez-vous un mot à ajouter par rapport à cette entrevue?
Je suis très contente et très honorée pour le moment que vous m’accordez pour cette interview. C’est une occasion une fois de plus pour moi de pouvoir expliquer et de porter notre message. Merci de prendre votre temps de venir m’interviewer aujourd’hui.
La seule chose que voudrais ajouter à propos de nos petites entreprises respectives, c’est un problème de financement. Nous avons essayé comme on peut de pouvoir sortir de notre zone de confort, de notre misère et de penser qu’il y a un autre monde possible après le divorce, après les violences conjugales.
Maintenant, nous comptons sur de bonnes volontés qui peuvent nous aider à financer nos projets. Nous avons de bonnes idées, mais il manque le financement pour nos projets.
Propos recueillis par Ansou Kinty
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