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Def Mama Def : « nous sommes un pont entre l’ancienne et la nouvelle génération »

Le hip-hop africain au festival international Nuits d’Afrique 2024 a été représenté par le groupe sénégalais Def Mama Def, composé de la chanteuse Défa (à gauche) et la rappeuse Mamy Victory (à droite: voir photo ci-dessus). Pendant l’entrevue avant le concert à Montréal le 11 juillet 2024, les deux artistes ont raconté leur histoire et partagé leur vision de la place du hip-hop féminin au Sénégal et en Afrique.

Afrikcaraibmontreal (ACM): Pour commencer, parlons un peu de vos origines, comment le groupe a été fondé.

Mamy Victory: Le groupe en tant que tel s’est fondé en 2021. Mais il faut savoir que Défa et moi, nous nous connaissons depuis 2017. Je ne sais plus quel mois exactement, mais je sais que c’est en 2017, et nous nous sommes rencontrées via un ami à Médina. C’est un quartier très populaire, très connu à Dakar, au Sénégal. Et le groupe est parti du Dakar Music Expo organisé par notre manager et producteur M. Doudou Sarr, qu’on salue au passage. Parce que si ce n’était pas lui qui avait vraiment cru à notre potentiel, on ne serait pas arrivé là en ce moment. Donc, on était allé voir les concerts du Dakar Music Expo en 2021 et à la fin du show, nous étions restées au restaurant, Défa, moi et notre directeur artistique actuel Baye Souley. Alors, nous étions en train de nous amuser à taper sur la table, faire de la musique à notre manière. Et c’est là qu’il nous a trouvées et nous a dit: “tiens les filles, ce serait bien qu’on arrive à justement faire de ce potentiel-là quelque chose. Pour pouvoir faire tourner un peu la musique sénégalaise à l’échelle internationale, parce que vous en avez les capacités”.
Et je pense que c’est une semaine après qu’on a commencé à créer vraiment des morceaux. On y est allé vraiment très vite. Et voilà, aujourd’hui, on est à Montréal pour les Nuits d’Afrique, après un long parcours.

ACM: Aviez-vous déjà un petit répertoire lorsque vous vous êtes rencontrées ? Aviez-vous trouvé un consensus sur le style que vous alliez jouer?

Défa: On avait pas mal de sons ensemble avant que Doudou nous propose cela. Parce qu’on avait l’habitude de bosser ensemble sur pas mal de trucs. Quand il a besoin de voix, je vais venir poser. On avait tendance à s’échanger mutuellement de trucs, de savoir. Et donc, pour faire après avec Def Mama Def, on savait déjà comment aborder la chose. Il nous a fallu presque un an pour faire nos sons ensemble. On a fait un an de recherche intense. On est parti dans plusieurs coins du Sénégal. On est parti dans plusieurs ethnies différentes pour avoir des cultures différentes, des sonorités musicales différentes. Et c’est ce qui fait qu’on a pu matcher les deux mondes avec la musique urbaine. Donc, en tout, ça nous a pris un an pour faire le projet.

Mamy Victory: Mais avant ça, on savait vraiment ce qu’on voulait parce qu’on était bien sur la même longueur d’onde. Parce qu’on avait les mêmes visions et les mêmes objectifs dans tout ce qui est musique, art, etc. Donc, ça n’a pas été très compliqué pour nous de travailler ensemble, vu que déjà on commençait à faire des sons bien avant de créer le groupe. Et voilà, ça nous a vraiment facilité les choses.

ACM: Vous avez enregistré en 2023 un mini-album Oh Maliko de quatre chansons précédé par un single Dieuredieuf en 2022. Par la suite, vous avez fait une petite tournée en Europe, notamment, en France, en Italie, et au Pays-Bas. Comment ça s’était passé et quelles étaient vos impressions et vos attentes ? Avez-vous pu enrichir votre répertoire avec d’autres chansons qui n’étaient pas encore enregistrées?

Défa: Ça fait effectivement cinq chansons en tout que les gens ont découvertes, mais je pense qu’on en a plus que quinze, et quand on tourne, on fait pratiquement toutes nos chansons. Et parfois, il nous arrive d’être gentilles et de donner une exclusivité aux gens pour découvrir une nouveauté. Comme on a dit, on a bossé sur beaucoup de sonorités au Sénégal, et donc on a pas mal de sons à proposer en live. Je pense qu’on a de quoi varier au moins pour une tournée, ce n’était pas compliqué.

Mamy Victory: Quant à nos impressions par rapport aux tournées, on a acquis beaucoup plus d’expérience dans les pays qu’on a eu à faire. C’est vrai que les méthodes de travail sont assez différentes du Sénégal. Par exemple, on a appris à venir à l’heure, parce que des fois au Sénégal, c’est très compliqué le côté professionnel, le respect des horaires et tout ça, là, ce n’est pas vraiment la même chose qu’ici. Donc, on a vraiment appris à beaucoup mieux se professionnaliser. Et on a créé une famille beaucoup plus large. Par exemple, notre communauté s’est développée hors du Sénégal. Partout où on va, les gens nous montrent vraiment qu’ils aiment notre musique. On arrive à partager nos émotions, à faire découvrir aux gens vraiment la culture sénégalaise. Et tout ça est vraiment bénéfique pour nous. Et donc ce qu’on attend, en fait, c’est justement faire découvrir au public du Canada la musique sénégalaise. Déjà, on est au festival Nuits d’Afrique et qui dit Nuits d’Afrique dit forcément Sénégal. Et il y a beaucoup de concerts où on a joué, où on ne voit pas forcément un public sénégalais. On espère qu’on en aura ici. Ou forcément, on ne voit même pas un public africain. Et là, c’est l’occasion pour nous de partager avec des frères africains de la diaspora, de leur dévoiler le projet Def Mama Def et de leur montrer le nouveau souffle qui plane sur la musique sénégalaise en ce moment. Parce que Def Mama Def, c’est vraiment un nouveau chapitre de la musique sénégalaise qu’on veut ouvrir.

ACM: Quelles sont vos plus grandes influences ? Et quelle est la direction que vous cherchez à prendre dans ce voyage musical ?

Défa: On aime beaucoup nos grands frères, Daara J. Il y a Positive Black Soul dont l’un des membres aujourd’hui est notre directeur artistique Baye Souley. Il y a Doudou Ndiaye Rose avec ses sabars qui ont exploré le monde entier. Quand on parle de quelqu’un qui a hissé le drapeau loin, je pense que c’est le meilleur exemple parce qu’il est super connu par ce qu’il a fait, qu’il repose en paix. On aime beaucoup ce qu’il fait. Nous avons été bercées par ses musiques. Et c’est souvent ce qu’on dit, que nous, notre bagage, c’est le patrimoine immatériel de la culture sénégalaise. Donc, peu importe où on va aller et la direction musicale qu’on va prendre, tu vas sentir la culture sénégalaise dedans. Effectivement, on a mélangé des styles, on peut prendre de l’amapiano et puis y mettre, par exemple, du sabar de Doudou Ndiaye Rose. Ou prendre de la musique urbaine et puis l’associer avec les rythmes de Youssou N’dour. C’est un peu ça le concept de Def Mama Def. Donc, pour revenir à votre question, on est influencées par tous ces grands chanteurs et chanteuses du Sénégal, par Youssou N’dour, Coumba Gawlo, Marie Ndiaye Gawlo, Ablaye Ndiaye Thiossane, Xalam 2, Orchestra Baobab… On puise vraiment de leur vécu musical, on essaie de se matcher ça et puis c’est magnifique pour nous, on adore ça!

Mamy Victory: Voilà, en fait, nous sommes juste un pont entre l’ancienne et la nouvelle génération.
C’est-à-dire, ce que nous faisons c’est qu’on arrive à trouver un juste milieu entre ce qui se fait maintenant et ce qui se faisait avant parce que c’était tellement magnifique. Ce qu’on veut, en fait, c’est justement ne pas perdre cet héritage-là. Par exemple, quand on écoute un morceau comme Kanu de Xalam 2, on peut y retrouver justement du jazz, du folk, du traditionnel, du hip-hop. Peut-être qu’à leur époque ou à leur niveau, ce n’était pas trop leur truc. Mais nous, quand on a essayé de remixer ça, direct, on savait où on doit aller. Ils nous ont tracé un chemin et c’est à nous, justement, de moderniser cette musique et de la faire découvrir au monde. Et ça, c’est la direction de Def Mama Def. C’est vendre le patrimoine immatériel et la culture riche du Sénégal à travers une musique urbaine. Voilà pourquoi on retrouve beaucoup de sonorités dans notre musique. On peut retrouver du yéla ou du R&B, ou encore de l’amapiano sur du tassou, qui est une forme de musique très populaire au Sénégal. Tout peut avoir de la place dans notre musique !

ACM: Ça me fait penser au rappeur Didier Awadi qui a lancé une campagne pour relever le défi de combattre le mbalax, le style traditionnel omniprésent au Sénégal qui consomme et repousse tous les autres styles de façon systématique.

Mamy Victory
: Oui, en fait, il y a toujours eu un clash entre le mbalax et le rap sénégalais. Et ça, c’est partout (rires). Mais c’est clair que justement, pour pouvoir trouver une identité à cette musique, il faut tout joindre. Il faut faire un bloc entre les styles, que ce soit le mbalax, le tassou ou le yéla. Il faut tout associer à ce qui se fait aujourd’hui. Et je pense que c’est ce que les Sud-Africains et les Nigérians ont réussi. Il y a donc toujours eu un clash, mais c’est quand même positif !

ACM: Abordons la situation avec le hip-hop féminin au Sénégal. Quelles sont les particularités de la nouvelle génération des rappeuses sénégalaises et des messages que vous cherchez à transmettre au grand public en comparaison avec les idées propres au hip-hop masculin et celles des artistes sénégalaises qui représentent d’autres styles de la musique populaire?

Mamy Victory: Déjà, nous, on parle beaucoup de la condition de la femme dans la société africaine et sénégalaise. Parce que déjà, quand on parle d’une famille sénégalaise, on parle forcément d’une famille nombreuse. On prend exemple beaucoup sur nos mamans, nos tantes, nos sœurs qu’on a vues en grandissant, donc on connaît forcément les conditions de la femme dans la société sénégalaise et africaine. Et étant aussi de la nouvelle génération, nous, notre combat c’est que tout cela change. On n’est plus à l’époque où la femme est toujours reléguée au second plan. On se bat, on arrive à mettre les pieds là où beaucoup d’hommes ne peuvent pas. On arrive à se lever le matin, à vraiment aller travailler pour pouvoir gérer notre famille. Nous n’attendons pas un mari pour nous gérer. On n’attend personne pour nous trouver du travail. On aimerait que la génération d’après suive nos pas. Donc, on parle beaucoup de la condition de la femme dans la société sénégalaise et africaine. C’est très important pour nous. Et on œuvre aussi pour la paix, parce que nous sommes du Sénégal, nous sommes sénégalaises, nous sommes pacifiques et on connaît la teranga. Je ne sais pas si j’ai omis quelque chose…

Défa: La scolarisation des enfants aussi, c’est un truc qui nous tient à cœur. Je pense que ce n’est pas parce qu’on est des femmes qu’on ne peut pas poursuivre nos rêves. Si tu as envie de devenir présidente de la République, ce n’est pas parce que tu es une femme que ça va être un frein. Donc, on est vraiment pour la scolarisation des filles à l’école. On se bat pour les droits de la femme, mais surtout pour la réalisation de nos rêves. Il y a ce côté où tu as un rêve et que tu dois réaliser. Maintenant, souvent, il y a un frein qui revient, soit on te marie tôt, soit on essaie de t’éteindre. Or, tu as le droit de faire ta vie comme tu le sens.

C’est aussi la question de liberté des femmes. Par exemple, au Sénégal, en général, un homme peut avoir des potes filles. Ce n’est pas mal vu. Mais si une femme décide d’avoir des potes hommes, souvent, c’est des préjugés qui reviennent. On parle souvent de scolarisation, des rêves des femmes, mais il y a aussi des petits détails. Il y a des femmes qui ont envie de s’exprimer, de vivre pleinement leur vie et qui ont souvent un blocage. Si tu as envie de te raser la tête, ben, rase-toi la tête, c’est ta vie! Il y a donc beaucoup de freins sur beaucoup de côtés. Il y a tellement d’aspects pour lesquels on se voit. Souvent, des femmes nous voient et elles nous disent, j’aimerais trop être comme vous. Vous êtes free, vous êtes vous-mêmes, vous avez votre liberté d’expression, vous faites ce que vous avez envie de faire. Et je pense qu’on inspire pas mal de femmes sur cet aspect-là. Donc, soyez vous-mêmes, soyez free, tout en ayant vos valeurs et puis avancez, c’est tout. Be strong. Soyez fortes. Ce n’est pas facile. On reçoit à chaque jour des préjugés lourds, parfois pas très faciles à encaisser, mais soyez fortes et vivez votre vie pleinement.

Mamy Victory: Donc, en gros, on se bat beaucoup pour la liberté de la femme et la condition de la femme en Afrique et au Sénégal.

ACM: La dernière question pour Défa sur vos impressions de Montréal, comme vous êtes déjà venue ici en 2019 avec votre groupe Rafa…

Défa: Oui, c’est bien ça avec moi, c’est vrai. J’ai fait Balattou avec Maréma d’ailleurs. C’était une expérience assez folle, on a trop kiffé. Je suis revenue aussi après quelques mois. J’ai fait ici cinq mois encore, et j’ai beaucoup aimé Montréal. Je pense que c’est mon coup de cœur.

Mamy Victory: Je pense que pour le concert avec le public montréalais, ça va être vraiment un moment de partage parce que nous avions vraiment hâte d’être là. C’était comme un rêve qui se concrétise, le fait de jouer aux Nuits d’Afrique. Ça fait des années qu’on suit, ça fait des années qu’on regarde les vidéos, qu’on avait hâte de venir vraiment représenter le Sénégal ici, leur montrer c’est quoi notre culture, leur faire danser, chanter. Ce sera vraiment un moment fort. Et on leur promet un concert très lourd.

ACM: Je vous remercie et donc au plaisir de vous rencontrer à Montréal.

Propos recueillis par Vladis Lim

Voici un extrait vidéo de leur concert du 11 juillet 2024 à Montréal.

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