L’enfant derrière le miroir de Mariana Djelo Baldé, promesse de guérison
Interview avec l’autrice d’un livre où le conte se conjugue à la libération personnelle.
Par Alexis Lapointe, collaboration spéciale
AfrikCaraibMontreal
Autrice et communicatrice, Mariana Djelo Baldé faisait paraître l’automne dernier un livre d’exception. Pour la première fois, elle divulguait par écrit les contes qui l’ont fait connaître sur la scène littéraire de Montréal. Un charme qui gagne le cœur du public et qui reste efficace en ces temps de pandémie grâce à ses prestations virtuelles en live sur les réseaux sociaux. Précédés par un récit sensible et personnel, ces contes puisent à différentes traditions africaines pour mieux porter à l’inspiration.
« Toute promesse est une dette », lit-on dans ce récit qui constitue la première partie du livre et qui se présente à la manière d’un conte urbain.
Semée de proverbes africains, la chronique aux accents autobiographiques qui se déploie avec en filigrane la vie montréalaise implique comme leitmotiv une promesse d’enfance. Celle d’écrire un livre pour sa mère. D’un continent à l’autre, l’œuvre représente ainsi à la fois un hommage et une offrande. Grâce à cette figure de femme exemplaire qu’il met à l’honneur, l’ouvrage devient un exercice littéraire où le souvenir dialogue avec l’avenir.
L’enfant esprit
Comme un trait d’union onirique à cette conversation intime, cette figure de l’enfant derrière le miroir qui donne le titre du livre. « Elle, c’était une âme sage avec une voix d’enfant qui me tenait compagnie » (p. 63), écrit Mariana Djelo Baldé.
Prisonnière d’un miroir, cette figure fantastique apparaît à la narratrice – il va sans dire que celle-ci constitue à beaucoup d’égards l’alter ego de l’autrice – pour lui rappeler la personne qu’elle est véritablement. Ses qualités occultées, négligées aux dépens des diktats de la vie adulte. Le récit appelle ainsi à maintenir vive cette connexion, cette force de « l’enfant esprit » (p. 100) que porte chacun.e pour extraire de sa vision imaginaire un réel pouvoir personnel.
L’univers à la fois effervescent et profond qui prend vie se déploie à partir de l’écriture même. Une mise en abyme qui va faciliter plus tard la plongée dans le « livre de maman », lequel se décline en cinq contes tout en métaphores et en traditions de sagesse.
« École vivante dont la mission est celle de transmettre les valeurs et l’histoire d’une génération à une autre » (p. 122), le conte – c’est ainsi qu’il se définit sous la plume de l’autrice – représente un foyer de réflexion mais aussi de relation.
« J’ai écrit ce livre dans un besoin urgent de retrouver la créativité, dit en entrevue Mariana. L’enfant derrière le miroir, c’est un puzzle où chaque partie possède sa fonction. »
Comme quoi son livre exprime pour elle un parcours personnel de libération.
Grâce à une formule de live intitulée « le dimanche du conte » sur Facebook, l’autrice donne voix virtuellement à ses contes en ces temps pandémie. La représentation devient un lieu de rencontre conviviale et de soin, un espace de partage avec les internautes alors que des airs de kora et de djembé – des instruments traditionnels auxquels plusieurs clins d’œil sont faits dans le livre – rythment la prestation de Mariana. Un concept qui rejoint un public international et où s’exprime bien la pratique de la communication en art-thérapie qu’elle développe. Ouvrage qui dépasse les frontières, L’enfant derrière le miroir connaît ainsi des échos du Québec à l’Afrique de l’Ouest.
Le 29 septembre, le lancement de L’enfant derrière le miroir a fait salle comble en réunissant près de 200 personnes au Salon Richmond. « C’était la veille du retour en confinement, rappelle-t-elle deux saisons plus tard. Avec tout le respect des consignes de la santé publique, on a fait des merveilles. » Animée par Keithy Antoine et soulignée par des performances d’artistes de renom comme Rebecca Jean et Ilam, la soirée a pris la forme d’un véritable spectacle. D’ailleurs, il demeure entièrement accessible en ligne sur YouTube.
Le boubou du bonheur
« J’avais promis à ma mère que j’allais lui offrir le bonheur et quand j’ai dû me séparer d’elle, je lui ai dit ‟Fais-moi un boubou, comme ça, tu vas habiller le bonheur”, dit Mariana. Avec mon livre, je rejoins la couture de ma mère. »
Du récit aux contes, les perles de tendresse étincellent à souhait. « Si le bonheur avait des yeux, je pense que ce serait ceux de maman et son cœur serait, lui, celui de l’enfant derrière le miroir » (p. 10), lit-on au début de la première partie. Celle-ci véhicule le désir d’apporter un baume sur la détresse et les jugements soufferts par une mère qui a été privée d’accès à la lecture. Une mère qui se présente comme une source d’inspiration fondamentale et à laquelle il y a lieu de rendre justice en invoquant la magie du conte.
« J’ai décidé que ma mère ne se cacherait plus. Alors, j’en parle ouvertement à tous ceux et celles qui croisent ma route. Elle a décidé de me conter une histoire s’intitulant : « Les chaussures de mon père. » C’était celle d’un enfant qui héritait des chaussures de son père. Elles s’avéraient être magiques et le faisaient voyager dans plusieurs endroits. » (p. 52)
– Mariana Djelo Baldé, L’enfant derrière le miroir
Comme autant d’illuminations déterminantes, les apparitions de cette enfant derrière le miroir avec laquelle s’établit une conversation existentielle. « Lorsque je parle de mes contes, on me demande s’ils s’adressent aux enfants ou aux adultes, indique Mariana. Je dirais qu’ils s’adressent aux enfants intérieurs des adultes. »
Des rues montréalaises, on file avec les contes vers des villages en mondes fantastiques où le sens de la vie se joue entre la maxime et la figure de style.
« Moi, le Temps, je peux être long à réagir, mais je finis toujours par guérir ce que mon silence a laissé croire que j’acceptais. Toutes les injustices du monde, causées par de sombres interprétations et déductions, seront inévitablement condamnées au tribunal du temps. » (p. 68)
– Mariana Djelo Baldé, L’enfant derrière le miroir
Au cœur des contes, on trouve des figures féminines. La mère, l’épouse, l’artiste, l’enfant y tiennent les premiers rôles et leurs destins résonnent puissamment. Si le ton peut sembler à prime abord naïf, chaque histoire souffle vite une philosophie et de féconds enseignements. L’héritage s’harmonise avec l’émancipation, la tradition avec le féminisme. De l’amoureuse éplorée à l’enfant rebelle qui fait renaître son village en faisant faux bond aux règles, on y trouve en abondance matière à inspiration.
Les tacos de l’amitié
Avec son livre, Mariana compte bien ouvrir de nouveaux horizons en relation d’aide. « Celui qui passe à l’action est toujours meilleur que celui qui fait des promesses » (p. 21), voici un proverbe illustrant bien cette démarche et qui apparaît dans L’enfant derrière le miroir.
Après différentes expériences de travail auprès d’organismes communautaires, Mariana découvre la valeur du soutien par les arts. Elle raconte qu’il s’agit des contextes propres aux milieux où elle a fait ses premières expériences qui l’ont amenée à opter pour des approches créatives.
D’ailleurs, elle soulève que son expérience l’a confrontée au problème de la faim à Montréal. « Je faisais du travail avec des familles à Verdun, surtout des familles immigrantes où les enfants avaient des mauvaises notes à l’école, dit-elle à titre d’exemple. Il y a beaucoup de jeunes pour qui la première motivation d’aller à l’aide aux devoirs, c’est d’avoir un morceau de biscuit alors j’ai vu l’importance de trouver des méthodes adaptées pour encourager la persévérance scolaire. »
Mariana se rend vite compte du potentiel des jeux et de la création pour susciter un lien de confiance et en particulier dans des contextes plus précaires. Un parcours qui la conduit à développer auprès des familles un programme ayant pour nom Les tacos de l’amitié. L’art de s’ajuster et celui de créer une œuvre, la synergie créatrice s’affirme comme une formule gagnante.
De fil en aiguille, elle s’investit dans l’art-thérapie. Une orientation qu’elle développe auprès de différentes clientèles. Elle offre en particulier ses services auprès de personnes adultes issues des communautés immigrantes, afin de soutenir leur leadeurship en les accompagnant dans la réalisation d’un projet professionnel. « On se centre sur des objectifs concrets, précise Mariana. L’outil artistique fait appel à de multiples formes d’intelligence.»
D’ailleurs, on trouve dans le livre de Mariana comme sur son site Web quelques clins d’œil à la philosophie Ubuntu. « Il s’agit d’une philosophie qui repose sur l’entraide et la solidarité, indique l’autrice. On gagne à faire du travail d’équipe avec son enfant intérieur. »
Aujourd’hui, Mariana travaille à la mise en place de son propre organisme qui portera le même nom que son oeuvre:
L’enfant derrière le miroir. Comme quoi le titre de son livre prend maintenant un tout autre sens, puisqu’il s’agit ici de mettre sur pied un programme d’envergure au service des familles de Montréal. « L’organisme viendra soutenir la réussite et l’accès aux cultures de manière permanente, dit Mariana. C’est plus qu’une promesse de guérison, c’est une mission de vie. »
Actuellement, l’autrice a entrepris une tournée de diffusion de son livre au Sénégal. À l’image de L’enfant derrière le miroir, Mariana entreprend un périple à visage humain. « Je souhaite d’abord faire place à des rencontres, créer de nouveaux réseaux, dit-elle à propos de ce circuit qui témoigne bien de son sens de l’engagement social. Je suis fière de présenter mon livre au pays de la Téranga, la terre de l’hospitalité. »
Le livre L’enfant derrière le miroir de Mariana Djelo Baldé est en vente en ligne sur son site Web.
https://marianabalde.com/
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