Qu’adviendra-t-il de l’accord politique du 31 décembre 2016, après la mort de Tshisekedi ?
En vertu de cet accord, il a été convenu notamment de mettre en place un gouvernement de transition qui serait dirigé par un représentant du Rassemblement de l’opposition jusqu‘à l’organisation des élections présidentielle et législatives avant la fin 2017.
Si l’on n’y prend pas garde, avec la disparition brutale du baobab autour duquel se rassemblait la frange majoritaire de l’Opposition politique (OP) pour faire le contrepoids et exercer une pression au régime de Kabila, cet accord risque de prendre une tournure complètement différente de ce qui était convenu.
Deux scenarii possibles risquent de se produire
DU CÔTÉ DU POUVOIR
Première hypothèse, la Majorité présidentielle (MP) continue avec sa stratégie actuelle de faire traîner en longueur les discussions et parvenir à faire accepter à l’OP de proposer plusieurs candidats au poste de premier ministre. Ainsi, le président Kabila aura non seulement la possibilité de choisir, parmi les candidats proposés, celui qui fera son affaire et lui sera docile, mais surtout continuera de garder la main haute sur ce premier ministre. L’accord sera ainsi appliqué, mais dans la continuité du régime en place.
Deuxième hypothèse, la plus plausible, la MP, comme toujours, utilise la bonne vieille recette politique de « diviser pour régner », en activant la « main noire » qui distribue nuitamment de billets verts à certains membres du Rassemblement de l’opposition et de l’UDPS – les deux structures politiques que dirigeait Etienne Tshisekedi -, dans le but de les faire éclater pour ainsi clamer qu’il n’y a plus d’interlocuteur fiable avec lequel nous pouvons établir un dialogue sérieux dans le cadre de cet accord.
DU CÔTÉ DE L’OPPOSITION POLITIQUE
Première hypothèse, malgré la mort du Patriarche, le Rassemblement de l’opposition résiste à la tentative du régime de Kabila de le faire éclater, reste uni et parle d’une seule voix pour le faire plier à respecter le prescrit de l’accord de la Saint-Sylvestre. Il pourra ainsi bénéficier de l’appui populaire. Cette population qui croupit dans la misère, privée de services vitaux tels que de l’eau potable et l’électricité, dépourvue du pouvoir d’achat des produits vitaux de première nécessité pour la santé. Une population frustrée, qui avait fondé beaucoup d’espoir sur Tshisekedi et qui se sent maintenant orphelin.
Deuxième hypothèse, le Rassemblement politique conditionne le rapatriement du corps de l’illustre disparu à la mise en œuvre de l’accord de la Saint Sylvestre. Accord issu du dialogue pour lequel Tshisekedi s’est battu, dans un premier temps isolé, puis rejoint finalement par l’ensemble de la classe politique congolaise.
C’est un point de vue qui est de plus en plus exprimé par la base du parti cher au Phoenix de Limete, qui souhaite que ce soit le gouvernement issu de cet accord qui organise les funérailles officielles et une sépulture dignes du combat qu’il a mené pour son pays.
Les partisans de Tshisekedi et la grande majorité de la population congolaise craignent, à tort ou à raison, que le pouvoir fasse de la récupération politique avec le corps de l’illustre disparu, alors que de son vivant, le président Kabila maintenant au pouvoir depuis 16 ans, ne l’a jamais serré la main, en tout cas pas publiquement. Il est donc hors de question que le corps de Tshisekedi rentre au Congo avant l’application de l’accord.
Un accord qui obtient l’appui international
Bien qu’il soit resté très discret pendant les négociations, le Groupe international de soutien à la facilitation du dialogue congolais constitué autrefois de l’ONU, OIF, UA, UE, a apporté un appui total aux clergés congolais.
À la mort d’Etienne Tshisekedi, les quatre organisations ont unanimement rendu hommage à l’illustre disparu et réitéré leur soutien à l’application intégrale de cet accord, considéré comme un des héritages d’Etienne Tshisekedi, pour faciliter la bonne tenue des élections.
Dans un communiqué rendu public le 04 février dernier, Michaëlle Jean, Secrétaire générale de la Francophonie a déclaré que : « La témérité d’Étienne Tshisekedi, figure emblématique de la vie politique congolaise, n’aura laissé personne indifférent, tant elle s’inscrit dans l’histoire mouvementée de la construction de l’État de droit en République démocratique du Congo. On l’a vu encore dans le cadre de l’Accord politique, conclu le 31 décembre 2016, entre les différentes coalitions de l’opposition et la majorité présidentielle. »
L’Union européenne a été plus précis, en appelant ouvertement « les acteurs politiques à honorer la mémoire du défunt en mettant en œuvre l’accord de la Saint-Sylvestre qui doit mener le pays vers des élections paisibles et démocratiques. »
À l’Union africaine, la présidente sortante, Nkosazana Dlamini Zuma, a déclaré la même chose : « la meilleure façon de rendre hommage à son héritage et son long combat pour la démocratie en RDC est de mettre pleinement en œuvre l’accord du 31 décembre 2016 »
Le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies a également invité « les acteurs politiques à honorer la mémoire d’Etienne Tshisekedi en s’engageant résolument dans la mise en œuvre totale de l’accord politique du 31 décembre 2016 »
Tout le monde sait bien qu’à partir du 20 décembre 2016, le pouvoir du président Kabila est garanti par ce compromis politique qui a été dégagé le 31 décembre 2016, et qui lui garantit de rester encore une année de plus au pouvoir, le temps d’organiser des élections démocratiques et transparentes pour lui trouver un successeur.
Mais au-delà de possibles prises de position relevant de la politique politicienne qui peuvent surgir pour tenter de torpiller ou même de faire capoter cet accord, le régime de Kabila devrait clairement comprendre que c’est lui qui a tout à gagner à préserver les acquis de cet accord. Il n’a donc aucun intérêt à vouloir énerver la population qui attend impatiemment la mise en œuvre de cet accord pour aller vite aux élections à la fin de cette année, comme prévu. Agir autrement risquerait non seulement de susciter de la frustration auprès de la population et accroître de nouveau la tension, mais cela reviendrait à scier la branche sur laquelle le président Kabila est assis momentanément.
Isidore KWANDJA NGEMBO, Politologue
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