Joseph Kabila tente de retourner au pouvoir en 2023 au mépris de la Constitution en vigueur dans son pays
La Constitution actuellement en vigueur en RDC a fermé la porte à double tour, à l’éventualité du retour au pouvoir des anciens présidents devenus sénateurs à vie. À moins qu’on envisage de réviser la Constitution, ce qui risquerait de replonger le pays dans des situations de troubles, comme celles qu’on a connues vers la fin du dernier mandat du président Kabila.
Les membres du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) et partisans de l’ancien président congolais, regroupés au sein du Front commun pour le Congo (FCC), se sont retrouvés la semaine dernière à Lubumbashi, dans la riche province du Haut-Katanga, pour préparer le grand retour de leur « Raïs », Joseph Kabila, au-devant de la scène politique congolaise. L’ex-directeur de cabinet de Joseph Kabila et coordonnateur du FCC, Néhémie Mwilanya, a déclaré même, pince-sans-rire, qu’aucune disposition constitutionnelle ou institutionnelle, voire politique, n’empêcherait le retour au pouvoir de l’ancien président congolais à l’expiration du mandat de l’actuel, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo en 2023.
Le but de cette tribune, qui se veut une analyse purement scientifique, technique et neutre, n’est pas de répondre aux déclarations de politique politicienne souvent entendues. C’est en vue de dissiper certaines idées faussement répandues dans les médias et largement relayées par les réseaux sociaux, d’un possible retour de Joseph Kabila à la présidence de la république, qu’il convient ici de mettre en lumière trois petites choses pour le commun des mortels, et même pour certains responsables politiques, qui ne comprennent pas toujours parfaitement toutes les subtilités de certaines dispositions constitutionnelles congolaises.
Premièrement, il est absolument faux de comparer le statut des anciens présidents de la République français avec celui de leurs homologues congolais. Alors que la Constitution française ne fait de ceux-là « de droit membres du Conseil constitutionnel à vie » que dans le cadre de l’interdiction de l’exercice de « plus de deux mandats consécutifs » (Cfr. art. 6 et 56 de la Constitution du 4 octobre 1958), la Constitution congolaise fait de ceux-ci « sénateurs à vie » dans un contexte où l’interdiction du renouvellement de mandats présidentiels n’évoque même pas l’idée d’un exercice de mandats « consécutifs » (Cfr. art. 70, Constitution du 18 février 2006) ; ce qui signifie qu’en République Démocratique du Congo, l’épuisement de ses deux mandats potentiels est définitif et ne donne plus droit à un retour au fauteuil présidentiel. Et cette différence n’est pas que sémantique. Elle emporte une très grande démarcation, en ce que, en France, on peut renoncer au statut en refusant de siéger au Conseil constitutionnel afin de se préparer à un éventuel retour au pouvoir, alors qu’au Congo, non seulement ce retour est impossible, mais surtout le statut conféré de sénateur à vie étant viager, celui-ci ne peut faire l’objet ni de renonciation individuelle ni de suspension temporaire. Il s’agit d’un statut définitif de droit public, conféré directement par la Constitution (art. 104 alinéa 6), dans la droite ligne du verrouillage constitutionnel de la durée et du nombre des mandats du président de la République (art. 70 alinéa 1er + art. 220 alinéa 1er de la Constitution congolaise).
Deuxièmement, il est faux de considérer le statut de sénateur à vie comme un « titre de noblesse », pire, un « titre honorifique ». Telle n’est pas la conception du Constituant de 2006. En limitant le nombre de mandats présidentiels à deux (art. 70 alinéa 1er de la Constitution), ce n’était pas une simple clause de style; c’était le fruit d’une grande option politique levée au Dialogue inter-Congolais de 2002 qui consistait à éviter de voir une personne à la tête de l’État au-delà de dix ans.
Et, en faisant des anciens présidents de la République « sénateurs à vie », ce n’était pas qu’un simple souci d’obvier à leur « chômage »; c’était surtout pour enlever en eux toute tentation de retour au fauteuil présidentiel, et ce dans le cadre de la préoccupation majeure, inscrite dans l’exposé des motifs de la Constitution, d’éviter toute tentative de dérive dictatoriale, qu’une longue présence à la tête de l’État, à l’instar de celui du président Mobutu, ne peut qu’engendrer.
Troisièmement, le système constitutionnel congolais ne permet donc pas un « come-back » présidentiel après avoir épuisé ses deux mandats et après avoir revêtu le statut de sénateur à vie. Or, un sénateur à vie, affirme la loi portant statut des anciens présidents de la République élus, est soumis à toutes les incompatibilités prévues par l’article 108 de la Constitution, sauf l’exercice d’une fonction rémunérée confiée par un organisme international dont la République Démocratique du Congo est membre (art. 6). Ces incompatibilités concernent notamment « l’exercice de tout mandat électif » (art. 108 alinéa 2, point 9, de la Constitution), en ce compris donc le mandat présidentiel. Puisqu’il s’agit d’un statut viager débutant immédiatement après la passation des pouvoirs entre le président sortant et le président entrant, on dirait que cette incompatibilité est de nature congénitale, emportant ipso facto l’inéligibilité de principe de l’ancien président de la République, puisque celui-ci ne peut ni suspendre son nouveau statut ni y renoncer librement. Il est donc faux d’affirmer, en conséquence, qu’à l’instar de tout sénateur, le sénateur à vie peut candidater en renonçant simplement à son statut ou en le suspendant. Outre l’argument précédent concernant l’impossibilité de renoncer à la « vie juridique » d’un sénateur à vie ou de la suspendre, il faut ajouter donc les dispositions pertinentes de la loi portant statut des anciens présidents de la République, lesquelles ne laissent à ces derniers, comme possibilité d’emploi, qu’une fonction conférée par l’État dans le cadre des Organisations internationales.
En conclusion, le système constitutionnel congolais a sa logique sur cette question. Cette logique, issue de l’histoire politique propre du Congo, est le fruit des leçons tirées du long règne du président Mobutu, lequel règne avait conduit, en 2002-2003, les délégués au Dialogue inter-Congolais de Sun City (Afrique du Sud), source de la Constitution actuelle, de décréter qu’aucun Congolais, fut-il le plus doué de tous, ne peut se trouver à la tête de l’Etat plus de dix ans. Cette logique est assise sur deux principes constitutionnels majeurs : interdiction du renouvellement du mandat présidentiel au terme de deux exercices et confinement des anciens présidents de la République élus au statut définitif et non-dérogatoire de sénateur à vie. Sous l’empire de la Constitution actuelle donc, et conformément aux lois et règlements pris ultérieurement, les anciens présidents de la République devenus sénateurs à vie ne peuvent plus, juridiquement parlant, briguer un autre mandat présidentiel, et ce, quel que soit le nombre de mandats passés à la tête de l’État. Il y a, dans leur chef, incompatibilité congénitale à occuper un tel poste, incompatibilité due au caractère définitif et non-dérogatoire du statut leur conférer qui – il faut le souligner – n’est pas à leur disposition.
Co-rédigé par:
Paul-Gaspard Ngondankoy Nkoy-ea-Loongya, Professeur de Droit constitutionnel à l’Université de Kinshasa
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Isidore Kwandja Ngembo, Politologue et analyste des politiques publiques
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