Prestation de serment du président togolais Faure Gnassingbé : la surprise Pascal Bodjona
Depuis le dimanche 03 mai 2020, Faure Gnassingbé est président à sa propre succession. Il rempile ainsi pour un quatrième mandat. Ce qui fait de lui le doyen des chefs d’Etat en exercice dans l’espace CEDEAO (Communauté économiques des États de l’Afrique de l’Ouest. La prestation est intervenue dans un contexte fort mouvementé de contestation et de Covid-19. Mais c’est surtout la présence de Pascal Bodjona, l’ancien bras droit de Faure Gnassingbé tombé en disgrâce, qui a retenu l’attention ?
1, 2,3 et 4. C’est le nombre de mandats de Faure Gnassingbé. Ce qui a habitué les Togolais à ses prestations de serment depuis 2005. Ils auraient aimé une autre figure se présenter devant la Cour constitutionnelle. Ce vœu achoppe toujours des pesanteurs dues à la spécificité de la scène politique togolaise avec ses éternelles querelles de chapelles. Un imbroglio avec en toile de fond des coups bas et des intérêts personnels au détriment de l’intérêt général finissent par lasser la population.
Ce qui se traduit de plus en plus par sa faible mobilisation lors des jours de vote. Ce déficit démocratique déteint sur les interventions de Faure Gnassingbé. La plus grande partie de ses compatriotes en est de plus en plus peu intéressée. La prestation de serment du 03 mai dernier en est encore une preuve. C’est pourquoi l’attraction était Pascal Bodjona.
Bodjona, une volte-face surprenante
Il était l’homme à tout faire du chef de l’Etat togolais jusqu’à sa disgrâce. Eclaboussé par une affaire dite d’escroquerie politique, Pascal Bodjona a connu la prison à la Gendarmerie de Lomé. Il y purgera 500 jours avant de recouvrer la liberté. Durant son embastillement, l’ancien homme à tout faire de Faure Gnassingbé a étonnamment réussi à devenir l’ami de la presse locale. Par conséquent, elle s’est beaucoup investie pour sa libération et par ricochet une grande partie de la population togolaise.
Relâché par Faure Gnassingbé, Bodjona, fera plus tard une sortie (une de ses rares) dans laquelle il déclara que personne ne peut lui interdire de faire la politique. Il venait d’annoncer son intention d’entrer en politique. Mais beaucoup l’attendront (en vain). Car c’est lors des élections communales tenues en 2019 que les Togolais entendront encore parler de lui. Mais son projet d’être maire de la commune d’Agoè a été rejeté. Sa dernière tentative a donc échoué. Depuis, l’homme a disparu de la sphère politique togolaise jusqu’à son apparition à la prestation de serment de Faure Gnassingbé.
Sa présence a sidéré plus d’uns. Elle a suscité des réactions sur les réseaux sociaux. Certains ont voulu ont prétexté d’une invitation adressée à l’ancien ministre « grand format » pour justifier sa présence. Mais une question se pose. Est-il obligé d’honorer de sa présence la cérémonie de prestation de serment de celui qui hier cherchait à l’éliminer sur l’échiquier politique ? Sans aucun doute, Pascal Bodjona retourne sa veste et retourne à la maison RPT/UNIR qui l’a bassiné et dont il a été l’un des piliers de la création de l’Union pour la république (UNIR), le parti de Faure Gnassingbé. Certains tentent d’expliquer la volte-face de l’ancien ministre en affirmant qu’il aurait été déçu de l’opposition. Trop facile.
Car après sa remise en liberté « Bodj » n’a pas véritablement mouillé le maillot pour convaincre les Togolais qu’il a définitivement rompu avec son ancienne maison. Les faits donnent à présent raison aux esprits avisés qui sont toujours suspects par rapport à la position de Pascal Bodjona de s’opposer au chef de l’Etat sur la scène politique. Ils ont à présent les yeux rivés sur le nouveau gouvernement de Faure Gnassingbé et voient l’ancien ministre de l’Administration rebondir au poste du ministre des Affaires étrangères du Togo. Wait and see.
Une prestation émaillée de contestation
La dynamique Kpodzro et son candidat Agbeyome et Kodjo ont payé le lourd tribut de cette prestation de serment. Leur tort est de contester la réélection du candidat de l’UNIR. L’acharnement du régime à leur endroit en dit long. Le procureur de la république s’est personnellement investi en envoyant des convocations au candidat du parti MPDD. Le clou a été la descente musclée des forces de l’ordre au domicile de ce dernier. Elles ont pris à tabac tous ceux qui étaient là. Agbeyome Kodjo a été arrêté et déposé dans les locaux de SCRIC, la cellule de recherche et de renseignement de la Gendarmerie togolaise.
Le témoignage de Jean-François Kodjo, l’un des fils du candidat de la dynamique Kpodzo témoigne de la brutalité des soldats lors de leur descente. « La veille de l’arrestation d’Agbeyome Kodjo, son domicile a été encerclé par les forces de l’ordre. Les chars d’assaut étaient postés en face de la maison. Le lendemain à 9 heures, la maison a été défoncée. Le personnel de la maison, les sympathisants et les visiteurs sont passés à tabac (…) Toutes les portes de la maison ont été défoncées y compris certaines qui n’étaient même pas fermées. Nous étions, nous la famille au salon en prière avec Monseigneur Kpodzo mais nous pouvions entendre des cris de détresse effroyable. Au bout de quelques minutes, les forces de l’ordre sont arrivées au salon. Nous leur avions dit que nous n’opposons aucune résistance » a-t-il décrit. Puis il a jouté que « malgré cela, nous avions été molestés, brutalisés, menottés au dos et jetés par terre. Une violence qu’il m’est difficile de décrire. Nous avions été amenés à la devanture de la maison toujours menotés et jetés à même le sol sous le soleil entassé comme du bétail et piétinés. Nous avions par la suite été conduits dans des camions de la Gendarmerie dans les locaux du service de renseignement ou nous avions passé la journée assis à même le sol. Nos effets personnels, les procès-verbaux, des documents ont été saisis », a raconté Jean-François Agbeyome.
Plus tard, la dynamique Kpodzro et son candidat furent contraints devant la justice ne plus revendiquer sa victoire contre une remise de liberté provisoire. Il faut relever que Mme Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson, Fulbert Attisso, membres de la dynamique Kpodzro ont été écoutés par la justice. Un embrigadement de la liberté d’expression en somme. Faure Gnassingbé venait ainsi par le truchement de la justice acquise à sa cause, d’étouffer toute contestation et de sécuriser sa prestation de serment. Cela prouve à suffisance que le Togo est dans un régime « démocraticide ».
Anani GALLEY, correspondant au Togo
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