Opinion: Le nationalisme linguistique sénégalais : un romantique effort d’émancipation
Aux prises avec des difficultés d’apprentissage, d’appropriation et d’affranchissement culturel, le français devient la cible d’ardents promoteurs des langues nationales au Sénégal. En même temps, la domination du wolof sur les autres langues codifiées attire d’énormes frustrations et annonce un risque de craquelure sociale. La démarche des activistes de l’identité linguistique renseigne de la grande panique du captif largué : ça se précipite, ça cogne et ça s’use dans la culbute sans se préoccuper de l’atterrissage forcé.
Le président Senghor a souligné la pluralité des idiomes ainsi que l’absence de grammatisation pour dépassionner les revendications linguistiques. « Par quelle langue et comment, alors qu’il n’y a même pas de bonne grammaire du wolof, enseigner les sciences modernes et réussir là où des langues écrites depuis mille ans essuient encore des échecs. » Le français, difficulté encombrante et langue d’invasion, s’impose de ce fait comme une ressource immanquable. Il surplombe en désespoir de cause les velléités ethnocentristes tout en donnant directement accès aux sciences et aux techniques.
La fantastique célébration du nationalisme linguistique sature et gonfle en vain de ses objectifs imprécis et incohérents. Nous avons aspiré et recueilli des mamelles de l’Orient, repérées puis câlinées, la langue arabe. Curieusement, elle n’inspire pas autant de susceptibilités d’aliénation. Le français nous incommode d’un décalage déconcertant entre nos représentations propres et la gamme de traductions offertes, mais il coopère avantageusement à l’accès du savoir et à la visibilité sur la scène internationale.
En 2005, le Sénégal a introduit l’enseignement de langues nationales dans 400 classes de la 1ere à la 4eme année. De l’avis de l’ancien ministre de l’éducation, Kalidou Diallo, beaucoup de parents d’élèves ont retiré leurs enfants des classes, convaincus de la futilité de l’enseignement des langues nationales. En 2008, le Rwanda a adopté l’anglais comme langue d’enseignement et d’administration au motif officiel que cette langue était plus compétitive. Trois ans plus tard, les autorités, embarrassées de l’échec du revirement, imposent par orgueil et par ressentiment vis-à-vis du français le kinyarwanda durant les trois premières années de la scolarité. Les Rwandais avaient déjà appris à penser, à résister et à aimer par cette langue de métier.
Le militantisme linguistique sénégalais est le corollaire du militantisme politique d’avant 1974. A travers leurs organes de presse, les partis politiques clandestins de gauche se sont fait l’écho d’un nationalisme radical et sur mesure. La contestation de la politique jugée trop pro-française de Senghor a fini par transférer la cause linguistique au cœur de la lutte politique, non pas dans une opposition français/langues nationales, mais dans une confrontation usurpatrice français/wolof.
Le Maroc, l’Algérie et la Tunisie ont choisi d’arabiser leur enseignement pour contrebalancer l’acculturation imposée par l’ancienne puissance coloniale. « La masse, ne maîtrise ni l’une ni l’autre langue. À part une élite qui est obligée de faire un choix entre l’arabe et le français et d’adopter une de ces deux langues pour en faire sa langue de conceptualisation et d’abstraction, la majorité de la population qui passe par l’école se contente de parler un petit peu le français et de connaître un peu d’arabe classique », affirme l’universitaire et chercheur au Centre national de la recherche scientifique, Ahmed Moatassime.
C’est moins l’affichage de la langue que la consistance du discours qui est gage d’affirmation culturelle. Communauté de discours en lieu et place d’une hypothétique communauté linguistique, voilà l’objectif ultime des micro-États subsahariens au regard des diverses affiliations linguistiques et ethniques. La constante appropriation des langues nationales suffit à leur préservation. Tout compte fait, le prix déjà payé pour l’accommodation laborieux au français, langue d’utilité pratique, est si phénoménal qu’il dépouille et dissuade de toute autre activité casse-tête de substitution.
Birame Waltako Ndiaye, journaliste-chroniqueur
waltacko@gmail.com
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