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Avant son concert ce 11 juillet à Montréal, Daby Touré se confie sur sa carrière

Daby Touré se confie sur sa carrière avant son concert ce 11 juillet, à Montréal, dans le cadre la 39e édition du Festival international Nuits d’Afrique. Lors de l’entrevue accordée à AfrikCaraibMontreal, le musicien mauritano-sénégalais est revenu entre autres sur sa vie familiale et ses collaborations musicales.

Afrikcaraibmontreal (ACM)
Bonjour Daby!
Nous sommes à la 39ᵉ édition du Festival International Nuits d’Afrique, et notre dernière entrevue date de 2015, il y a donc dix ans. Vous venez souvent à Montréal, mais vous passez beaucoup de temps en France. Alors, la première question qui se pose : qu’est-ce qui s’est passé pendant ces dix ans?

Daby Touré:
Pendant ces dix ans, il s’est passé beaucoup de choses. Il n’y a pas que la musique dans ma vie. J’ai eu deux filles et je me suis occupé d’elles. J’ai aussi beaucoup travaillé, refait mes disques, voyagé, passé du temps avec ma famille, je suis allé en Afrique. J’y ai notamment développé des projets, dans le nord du Sénégal, au bord du fleuve Sénégal, à Mboumba plus précisément, où j’ai travaillé avec toute une ribambelle de jeunes assoiffés de musique, de collaboration, de connaissances techniques. J’ai pu faire des morceaux, produire des albums pour eux.

En même temps, si on parle de mon travail, je ne me suis pas beaucoup concentré sur moi en tant que Daby Touré. Je n’ai rien sorti ; ça m’a fait du bien, quelque part, de juste prendre le temps de vivre, de respirer un peu, parce que, quand même, ça fait des années que je fais ça.

Je suis arrivé en 2015 avec mon dernier album Amonafi, sorti avec Kumbancha. Et à partir de là, je n’avais plus la force. Je pense que j’étais un peu pris dans ce rythme de faire un album, repartir sur la route, devoir toujours présenter une carte d’identité comme ça… Je trouvais ça un peu épuisant. J’ai eu envie de vivre, tout simplement.

Passer du temps avec ses enfants, c’est quelque chose de très rare. J’ai vu mes parents partir pendant des années. Souvent, on peut partir loin, longtemps, et on passe à côté de quelque chose. Donc, en gros, c’était une période plutôt positive. Aussi difficile que cela puisse être, parce que c’est difficile, pour un artiste, de ne pas être sur scène, de ne pas jouer, surtout quand on n’a fait que ça. Mais, au fur et à mesure, j’ai appris à vraiment accepter ce fait. C’est ce que beaucoup de gens appellent « la traversée du désert ».

ACM :
Est-ce que vous avez quand même fait des collaborations depuis 2015 avec d’autres artistes?

Daby Touré:
Oui, j’ai travaillé avec Jorane notamment. C’est une artiste québécoise. J’ai aussi travaillé avec Romain Tranchart, un artiste très connu, qui a fait partie du groupe Modjo en France, un groupe électro. J’ai collaboré avec des artistes peut-être un peu moins connus, comme Sahad Sarr au Sénégal. Tout ça va se ressentir dans mes projets à venir. Ce sont des collaborations qui se sont faites, et qu’on découvrira dans mes albums.

ACM :
Vous avez collaboré dans le cadre de la grande famille Touré, avec le groupe légendaire sénégalais Touré Kunda. Est-ce que vous pouvez nous parler un peu de cette histoire, depuis le début en 1989, jusqu’au décès d’Ismaïla, et comment vous avez vécu cette expérience ?

Daby Touré:
Pour moi, déjà, Touré Kunda, c’est le début de tout. C’est la consécration de la musique africaine. C’est le premier groupe qui a montré qu’il était possible d’avoir une musique vivante, ouverte, africaine, sans que ça reste forcément folklorique. Ils ont créé, on va dire, un son qui pouvait parler aussi bien à l’Afrique qu’au reste du monde. Et ça, je trouvais ça vraiment passionnant. Ça m’a donné encore plus envie de faire de la musique.

J’ai vécu l’aventure Touré Kunda depuis 1989, jusqu’à leur séparation et jusqu’à la fin. C’est un énorme héritage pour l’Afrique. C’est un groupe qui a vraiment été au-devant de la scène, à un moment où, s’il n’avait pas été là, je me demande si Mory Kanté, Salif Keita, Alpha Blondy et tous les autres seraient venus à Paris. Je ne pense pas. Je pense que tous ces gens-là sont venus à ce moment-là parce qu’ils ont vu que c’était possible.

C’était une expérience assez inouïe parce qu’à l’époque, la gauche arrivait au pouvoir en France, avec Mitterrand, et le ministre de la Culture Jack Lang. Donc, toutes les étoiles étaient alignées. Ces gens-là voulaient que la France s’ouvre au reste du monde. Et pour moi, Touré Kunda, c’était la preuve que quand un pays veut s’ouvrir, quand il va vers le monde, il réussit. À ce moment-là, la France est devenue la plaque tournante de la musique africaine. Le gouvernement français a investi beaucoup d’argent dans la culture. Touré Kunda en a bénéficié, et d’autres artistes aussi. Ça a été un vrai tournant pour la musique africaine.

Donc, j’ai vécu la disparition du groupe comme une grande perte. Mais l’héritage est toujours là. Alors, la question qui se pose, c’est : qu’est-ce qu’on fait de cet héritage-là ? J’ai essayé récemment de reprendre un peu avec mes cousins, de faire quelques concerts. C’était un premier essai. Ce que je veux faire maintenant, c’est reprendre régulièrement. Comme là, je vais faire le concert du 11 juillet. Je vais reprendre régulièrement des chansons de mes parents sur scène. Parce que je pense que c’est la moindre des choses à faire : ramener un répertoire que plus personne ne joue mais qui a une force incroyable. Que ce soit celui de mon père Seta Touré ou celui de Touré Kunda. C’est un héritage que je porte aujourd’hui. Et je suis le seul, pour l’instant, à pouvoir en hériter.

Ce que j’aime le plus dans ce répertoire, ce sont les chansons acoustiques avec des percussions. Ninki Nanka ou Sol Mal, ce genre de chansons. Ce sont des chansons ancrées dans la terre. J’ai grandi là, donc ça me parle beaucoup. Et je vais le faire à partir de maintenant.

ACM:
On voit beaucoup d’artistes d’Afrique de l’Ouest qui vont souvent en France, s’y installent et donnent des concerts un peu partout, même dans les petites villes. Mais ils viennent rarement au Canada. Que pensez-vous de cette situation ? Qu’est-ce qui a changé depuis ? Et que peut faire le Canada pour améliorer la présence de la musique africaine?

Daby Touré
Tout à fait, c’est une très bonne question. On sait que la France, en particulier, est un pays qui a une expérience coloniale avec l’Afrique, qui y a été présente depuis longtemps. La France entretient une relation particulière avec l’Afrique : on y parle tous français, on y a grandi dans les écoles françaises. On connaît les Français. Donc quand on émigre, on va d’abord en France. Et comme je le disais tout à l’heure, pour les Touré, la première idée à l’époque, c’était d’aller en France : on est francophones, donc on part vers le pays d’adoption. Et là, ils ont déclenché quelque chose qui a définitivement pris de l’ampleur. À partir de là, un public s’est constitué et une industrie – ce qu’on appelle la « world music » – s’est développée, ce qui n’existe pas encore ici. Au Canada, il reste encore beaucoup à faire à ce niveau. Il y a des festivals pour l’instant, mais la musique africaine y est encore largement méconnue. Le Canada est vaste : on y découvre encore cette musique. Même aux États-Unis, j’ai l’impression qu’on connaît davantage la musique africaine qu’ici. J’y rencontre beaucoup de personnes familières de ces festivals, malgré l’absence de francophonie. C’est assez particulier : malgré ce manque de liens historiques avec les États-Unis, il existe de grandes institutions dédiées à la musique africaine. Je ne sais pas comment cela s’explique, mais il y a de gros festivals. J’ai beaucoup tourné avec Kumbancha et d’autres tourneurs : c’est impressionnant de voir que de nombreux festivals sont prêts à réussir. Ici, nous n’avons que Nuits Afrique, peut‑être un ou deux autres événements, et c’est tout. Donc, quand on arrive ici, c’est vite fait. Pour les artistes sénégalais ou africains que j’ai rencontrés au Canada, je les entends dire qu’ils organisent des tournées soutenues par le Conseil des Arts, car il y a moins de public et moins de salles. On aide pour que ça fonctionne. Certains vivent bien de leur art, mais ne quitteront pas le Canada pour conquérir le monde ; l’Europe demeure pour l’instant le marché principal. Même si l’extrême droite y progresse et que les frontières se ferment petit à petit – il faut le reconnaître – j’ai quitté la France à cause de cet esprit d’intolérance, de peur de l’immigré, un climat qui se rapproche de celui des États-Unis. Il se passe un truc bizarre. Je ne sais pas ce qu’il adviendra, mais peut-être que c’est une occasion pour le Canada : « Venez ici, on peut le faire. »

ACM
Vous avez dit à plusieurs occasions que, grâce à votre expérience de voyage dans plusieurs pays, vous avez appris plusieurs langues et chantez aussi en wolof, soninké et poular. Mais sur votre dernier album Amonafi, vous avez une chanson intitulée « Kiba », interprétée dans une langue inventée. Quelle est l’histoire de cette invention et que révèle-t-elle de votre polyglottisme ?

Daby Touré
Oui, je fais ça parfois. J’ai fait de même avec « Iris » sur le premier album Diam. Ces deux expériences ont été très rares. À un moment, parler plusieurs langues… un jour, je me retrouve avec ma mère, qui parle le hassanya, un dialecte arabe. En lui parlant, je réalise que j’utilise des mots qui ne correspondent pas, mon cerveau mélange, parfois sans que je m’en rende compte, des mots anglais ou français. Petit à petit, cela est venu naturellement. Ce qui est difficile, c’est de connaître ces langues parfaitement, d’appliquer systématiquement une grammaire, une technique. Par exemple, en français, il faut conjuguer les verbes selon des règles. Quand on en maîtrise six, avec six grammaires différentes, cela devient trop complexe. Comme je voulais, en musique, vivre une expérience où je pourrais chanter sans me poser de questions, utiliser les mots qui me viennent, j’ai commencé à inventer des mots, à leur donner mes propres significations, phonétiquement. Ce qui me plaisait, c’était ce jeu phonétique qui s’accordait bien à la musique et qui avait du sens pour moi, pas nécessairement pour les autres.

ACM
Et pour le public qui ne comprend pas vos paroles parce qu’il ne connaît pas cette langue construite, quelles sont vos attentes ?

Daby Touré
De toute façon, ils ne comprennent pas non plus les autres langues. Celui qui écoute Diam ou Amonafi sans que je chante en français ou en anglais ne peut pas décoder les paroles. C’est pourquoi nous incluons les traductions.

Quand j’étais jeune et que j’écoutais Bob Marley, je ne comprenais pas non plus ce qu’il disait, mais je pouvais ressentir quand il était triste, ou quand il était en colère, ou quand il était heureux, etc. Je compte un peu là-dessus, parce que c’est difficile. C’est très difficile. La langue est une barrière pour les gens. C’est vrai que si j’avais chanté en français de la même manière, j’aurais beaucoup plus touché les gens. Si j’avais chanté seulement en anglais, comme Fela (Kuti) ou comme Bob, j’aurais touché beaucoup plus de monde. Mais c’est important pour nous de garder nos langues. Parce que c’est tout ce qu’on a. Quand tu parles ta langue, tu penses comme cette langue. Quand tu parles français, tu penses comme les Français. Et quand tu parles wolof, tu ne peux pas parler de la même manière que quand tu parles français. Du coup, quand je chantais en français, je n’avais plus mes appuis. Je n’avais plus mes trucs pour pouvoir sauter, balancer comme je voulais. Et dès que je revenais dans mes langues à moi, c’est pour ça que j’ai inventé ces langues-là. Parce que ça restait dans les sonorités que je voulais, et ça me permettait de rebondir et d’avoir la musicalité qu’il fallait pour que ça marche avec la musique.

Mais là, on va avoir des surprises, parce qu’il y a deux ou trois albums qui arrivent. Un qui est produit par Romain Tranchart à Paris. Ça fait dix ans qu’on travaille dessus. C’est un album en anglais avec des langues africaines. Ça, c’est une autre expérience au niveau des langues, encore une fois, de ce que je fais. Et il y a un autre album que j’ai fait avec le Conseil des arts, qui vient d’être fini, qui est une inspiration totale de mon père Seta. J’ai grandi avec lui. Lui, c’est un vrai Soninké, donc la langue, c’est important. Il a écrit notamment la chanson « Emma » de Touré Kunda. Et je m’inspire beaucoup de lui pour cet album-là, parce qu’il avait des sonorités particulières, parce qu’il a grandi dans une région où les Soninké sont prédominants. Et donc, ce sont des couleurs musicales différentes, mais surtout au niveau de l’anglais.

Et puis, j’ai fait un autre album aussi avec un producteur québécois. Je me suis inspiré des Dogons, de notre culture mandingue, mais surtout quand on remonte à l’histoire de la « science africaine ». Et je me suis inspiré de ces langues-là aussi. J’ai fait un album dans lequel j’ai travaillé avec un jeune homme de 25 ans, qui est beatmaker. On a commencé par ne faire que de l’électronique. Après, j’ai repris tout ça, je suis allé en studio, et j’ai mis de l’analogique dessus. Je me suis éclaté. Mais tout ça, c’est toujours par rapport aux sonorités, aux langues, à créer quelque chose de nouveau, quelque chose qu’on n’a jamais entendu, quelque chose qui me parle.

ACM
Vous participez à plusieurs festivals autour du monde, qu’est-ce qui est spécial pour vous par rapport au festival Nuits d’Afrique ?

Daby Touré:
Il y a l’ambiance particulière qui fait que, déjà, ils m’ont fait venir plusieurs fois. Quand je suis venu la première fois ici, à Montréal, j’étais étonné de trouver un festival africain ici, parce que je ne m’attendais vraiment pas à ça. Par rapport à l’environnement, par rapport au froid, par rapport au Québec, je trouve qu’il y a quelque chose de très particulier… Soit ça marche, soit ça ne marche pas, et là, ça marche très bien. Ce que j’aime avec Nuits d’Afrique, c’est l’ambiance africaine, ces artistes africains qui débarquent et qui prennent la ville en otage, et qui donnent pendant quelques semaines une couleur, une chaleur africaine.

D’ailleurs, le fondateur du festival, Lamine Touré, c’est aussi quelqu’un qui connaît bien ma famille. Quand je le vois, quand on se parle, il me parle de moi, je sais de qui il parle. Il a connu mes parents, il les a connus quand ils ont démarré le groupe Touré Kunda à Paris. Donc, à chaque fois que je le vois, j’ai l’impression de revoir aussi une partie de l’histoire de moi-même. C’est un peu comme une réunion de famille, parce qu’il sait très bien d’où je viens. La cofondatrice du festival, Suzanne Rousseau, elle aussi, ils savent très bien qui je suis. Ils ne me programment pas comme ça, juste pour me programmer. Quand, en général, ils me disent « viens jouer », c’est parce qu’ils pensent que j’ai quelque chose à dire, que j’ai quelque chose à défendre. Ils me font confiance pour ça. Ils savent aussi que je ne suis pas un artiste comme les autres. Je suis comme un peintre. Je fais de l’art. J’écris, je fais des choses qui sont rares, qui me demandent du temps. Je ne cours pas après le temps, ni après l’argent, ni après la gloire. Si c’était ça que je voulais faire, je pense qu’il y a 15 ans, je l’aurais fait. J’ai eu l’opportunité de faire ça avec plein de gens. J’ai travaillé dur quand j’étais plus jeune. Je n’ai jamais demandé à qui que ce soit. Personne ne m’a jamais aidé pour faire mes disques. Je joue tous les instruments moi-même. J’enregistre même la technique tout seul, même le son. Donc si tu veux, pour moi, chaque fois que je fais un disque, c’est parce que j’ai quelque chose à dire. Sinon, tant pis, ce n’est pas grave. Il s’est passé dix ans parce que je n’avais pas envie de faire quelque chose. Mais je sais que beaucoup de gens me disent : « Oui, mais c’est dangereux, parce qu’après tu disparais, les gens t’oublient. » Je dis : c’est vrai. Mais en même temps, quand je reviens, ceux qui me connaissent sont contents, et il y en a beaucoup qui ne me connaissent pas encore. Et c’est bien. Je peux continuer encore à faire. Parce que j’ai vraiment des idées là. Et j’ai besoin de temps pour me poser, pour le faire.

ACM
Merci beaucoup. Bonne continuation, bon succès dans vos projets et bon concert!

Propos recueillis pas Vladis Lim


Le concert de Daby Touré aura lieu au Théâtre Fairmount le 11 juillet à 21h.

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