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Opinion/Le Canada veut renouer avec les missions de maintien de la paix en Afrique

Le ministre canadien de la Défense nationale, Harjit S. Sajjan, séjournera en Afrique, notamment en République démocratique du Congo (RDC), en Éthiopie, au Kenya, en Tanzanie et en Ouganda du 09 au 16 août 2016. L’annonce a été faite la semaine dernière dans un communiqué du ministère de la Défense nationale daté du 4 août 2016. Selon ce communiqué, le ministre sera accompagné de l’ex-sénateur libéral et Lieutenant-général à la retraite Roméo Dallaire (celui qui commandait la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR) pendant le génocide de 1994), et de l’ancienne procureure en chef du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) et ex-Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme Louise Arbour.

Le recoupement des informations obtenues de diverses sources nous permet d’attester que le Canada se prépare à déployer une cinquantaine de Forces canadiennes dans une mission de maintien de la paix, vraisemblablement en RDC, dans le cadre de la Mission de l’organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco). Mais rien n’a encore été précisé. C’est à l’issue de cette visite africaine que le ministre pourra définitivement fixer l’opinion publique canadienne du lieu et de la date prévus pour un tel déploiement.

Débattre des questions relatives à la paix et la sécurité en RDC

Au-delà du déploiement des troupes canadiennes pour le maintien de la paix, ne devrions-nous pas d’abord commencer par aider ce pays à instaurer un système de justice pénale opérationnel pour prévenir les crimes et violations massives des droits de la personne des civils innocents ?

En effet, en lisant entre les lignes l’annonce de la visite du ministre de la Défense nationale, il y a lieu de penser que la présence dans la délégation ministérielle de Roméo Dallaire et Louise Arbour, deux personnalités canadiennes connues pour leur rôle joué dans la région des grands africains, n’est pas fortuite. Elle est révélatrice de la volonté du gouvernement Trudeau, qui travaille activement pour obtenir un siège non permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, d’attirer l’attention de la communauté internationale sur les crimes qui se perpétuent en RDC depuis maintenant deux décennies sans qu’aucune action judiciaire internationale ne soit réellement entreprise à l’encontre des responsables des violations graves du droit international humanitaire.

De l’avis de plusieurs observateurs avertis de la situation socio-politico-économico-sécuritaire en RDC, il n’y aura pas de paix durable dans ce pays tant et aussi longtemps qu’il n’y aura pas de justice indépendante qui doive non seulement juger les criminels qui sévissent en toute impunité, mais également les dissuader de récidiver.

Dix-sept ans après sa mise en place en juillet 1999 par le Conseil de sécurité, la Monusco, avec près de 17 000 casques bleus déployés sur le terrain, peine à instaurer une paix durable dans ce pays, notamment en éradiquant les groupes rebelles qui, chaque jour, sèment la terreur, la mort et les viols massifs de femmes et d’enfants, essentiellement dans la partie Est.

L’ampleur et la cruauté des crimes atroces et barbares perpétrés dans cette région de l’Afrique centrale ne devraient pas rester impunis, si l’on veut réellement aider ce pays à rétablir une paix durable.
À propos, il est vrai qu’il revient fondamentalement à l’État, en premier, de tout mettre en œuvre pour protéger ses citoyens, avec un système de justice pénal qui assure la sécurité publique en protégeant la population contre ceux qui enfreignent la loi. Mais quand on sait le dysfonctionnement de la justice congolaise et son impuissance à dire le droit ; quand on connaît que le manque de volonté manifeste des autorités d’engager des poursuites contre les vrais criminels et autres commanditaires, il y a lieu de croire que seule une justice internationale peut agir efficacement pour suppléer au manquement de l’État qui ne respecte pas ses obligations internationales de poursuivre et traduire en justice toute personne présumée responsable de crimes indescriptibles et proscrits par les Conventions internationales.

En effet, nous sommes de ceux qui pensent que la communauté internationale a le devoir d’établir une justice internationale compétente et habilitée à poursuivre et juger toutes les personnes qui se sont rendues coupables de violations graves du droit international humanitaire en RDC. Sinon, la culture de l’impunité va demeurer encore pour longtemps dans ce pays.

Que peut faire le Canada ?

Comme a dit le ministre Harjit S. Sajjan : « Le Canada accorde beaucoup d’importance aux relations riches et étroites qu’il entretient avec ses partenaires africains et reconnaît l’importance d’une forte voix africaine pour débattre des questions relatives à la paix et la sécurité mondiales. »

La recherche d’une solution pour une paix durable en RDC repose notamment sur l’établissement d’un Tribunal pénal international pour ce pays. À l’instar du TPI pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda que Mme Arbour connait parfaitement bien pour avoir été la Procureure, l’instauration d’un TPI ad hoc pour le Congo contribueraient non seulement à dissuader les criminels de commettre d’autres crimes, mais également à rendre justice aux millions des victimes de la tragédie congolaise. À défaut d’un TPI ad hoc à l’image de l’ex-Yougoslavie ou du Rwanda, il serait nécessaire d’envisager d’autres formes de justice internationalisée à l’image de la Sierra Leone, du Cambodge ou du Liban. La mise en place d’un tel Tribunal s’inscrit parfaitement dans la poursuite des objectifs du Conseil de sécurité en faveur de la paix et de la sécurité internationale.

Le Canada peut donc exiger au Conseil de sécurité de mettre sur pied un TPI ad hoc pour la RDC. Car, s’investir dans la mission de maintien et de rétablissement de la paix en RDC, sans investir davantage dans l’établissement d’une justice indépendante, d’une démocratie et d’un État de droit, ne peut procurer une paix durable.

Par Isidore KWANDJA NGEMBO, ancien conseiller à la direction de l’Afrique centrale du ministère des Affaires étrangères, commerce et développement du Canada

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