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La Secrétaire générale de la Francophonie parle de la nécessité de lutter contre le terrorisme et l’embrigadement des jeunes

Michaëlle Jean, Secrétaire Générale de la Francophonie
Après deux années passées à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), Michaëlle Jean nous livre son appréciation et dit s’inscrire résolument dans la continuité du legs de ses prédécesseurs en portant à son tour l’OIF sur la trajectoire des réalités du moment avec force, y compris là où on ne l’attendait pas. Elle place ainsi son mandat dans le cadre des missions de l’OIF et tâche de mettre en œuvre la feuille de route, qui lui a été confiée par les chefs d’État et de gouvernement. Feuille de route dont l’un des axes prioritaires est d’œuvrer pour une Francophonie économique en mettant l’accent sur l’investissement dans le capital humain, l’atteinte des objectifs du développement durable, l’apport essentiel des forces vives que représentent les femmes et les jeunes dans tous les efforts déployés.

Michaëlle Jean a accepté de partager sa réflexion sur la gouvernance de l’OIF et, un autre sujet qui lui tient à cœur, la lutte contre le terrorisme et la prévention de la radicalisation violente des jeunes.

De la gouvernance de l’OIF

« En tant que secrétaire générale de la Francophonie, ma mission, conformément à la Charte de l’OIF, est, entre autres, de mobiliser non seulement les États membres, mais aussi les partenaires multilatéraux pour la mise en œuvre des engagements et l’application du Cadre stratégique de la Francophonie 2015-2022, adoptés au Sommet de Dakar. C’est d’ailleurs lors de ce 16e sommet de la Francophonie que j’ai été élue et que les chefs d’État et de gouvernement rassemblés m’ont confiée une feuille de route, assurément intense, que les équipes de l’Organisation portent énergiquement. Elles le font en parfaite cohérence, et j’y tiens, avec celles des autres organes et opérateurs de la Francophonie, en impliquant aussi nos réseaux vigoureux d’institutions, d’experts dans tous les domaines et d’organisations de la société civile.

Gouverneure générale du Canada, puis Envoyée spéciale de l’UNESCO pour Haïti, j’ai vu trop d’éparpillement, trop de doublons et d’attitudes en silo, pour envisager la tâche autrement que dans le rassemblement des forces et le partenariat.

Contrairement à ce que j’entends parfois, nous ne nous éparpillons pas. J’y veille. L’ambition des pays est certes grande, mais elle est parfaitement légitime. Elle demande de l’audace. J’aime voir la Francophonie avancer de manière décomplexée, consciente de notre plus-value qui est réelle et désireuse de bien la faire connaître et reconnaître. L’idée n’est pas de trop embrasser, mais de consolider nos acquis, de partager les solutions en marche dans l’espace francophone, avec des partenaires tout aussi volontaires et de toutes nos forces réunies. Nous agissons avec méthode autrement que dans la précipitation.

Je tiens à souligner notamment le travail phénoménal mené avec les jeunes francophones des 5 continents qui ont répondu massivement à l’initiative « Libres ensemble » que j’ai lancée début 2016. D’abord comme une plateforme interactive sur les réseaux sociaux, mais en moins d’un an, l’initiative Libres ensemble est devenue un mouvement très actif y compris sur le terrain et a réussi à rejoindre 5 millions de jeunes de tout l’espace francophone qui jusqu’ici ne savaient rien de la Francophonie et n’étaient pas touchés. De là est né aussi un programme de financement participatif innovant, « Finance-ensemble », pour soutenir généreusement le démarrage des meilleurs projets soumis par des jeunes entrepreneurs sociaux.

Il n’est un secret pour personne que nos ressources sont limitées, toutes les organisations multilatérales font face à ce même défi. Mais notre mérite est d’avoir réussi à responsabiliser tous nos pays membres, associés et observateurs, notamment dans le règlement des paiements arriérés des contributions statutaires.

Ce qui me conforte dans cette démarche, c’est qu’au 16ème sommet d’Antananarivo, en novembre dernier, nos réalisations ont été saluées par les chefs d’État et de gouvernement, ainsi que par les chefs de délégations. Tous et d’un commun accord, ont approuvé les orientations du rapport détaillé que je leur ai présenté de nos actions politiques pour plus de démocratie, de sécurité et de stabilité, en faveur des droits et des libertés, en éducation, formation professionnelle, culture, promotion et valorisation de la langue française, nos stratégies numérique, jeunesse et économique. Tous ces chantiers et combien d’autres encore qui sont engagés avec leur concours et leur assentiment. »

De la lutte contre le terrorisme

« Dans mes anciennes fonctions de Gouverneure du Canada, j’ai agi comme commandante en chef des Forces canadiennes. J’ai, à ce titre, effectué de nombreuses missions sur le terrain où sont déployées des opérations de défense et de maintien de la paix, notamment en Afghanistan, dans plusieurs pays d’Afrique et en Haïti, côtoyé aussi bien les troupes que les populations. J’ai vu combien les nouvelles menaces à la sécurité et à la stabilité du monde, particulièrement de notre espace francophone, sont un obstacle majeur au développement socio-économique et même à l’exercice des droits de l’homme.

En m’engageant à servir les États membres de la Francophonie, je savais bien que le défi sécuritaire serait au cœur de mon mandat. Je suis donc arrivée forte de toutes mes expériences antérieures et animée par la volonté de mobiliser les États, de les encourager à unir leurs forces pour relever ces nouveaux défis sécuritaires et nombreuses menaces qui accablent nos pays actuellement. Nous sommes tous concernés.

J’ai pris officiellement mes fonctions de Secrétaire générale de la Francophonie le 5 janvier 2015. Deux jours après, le 7 janvier, Paris qui abrite le Siège de l’OIF, était frappée et toute la France profondément ébranlée par les attentats horribles et meurtriers contre le journal satirique Charlie Hebdo, puis une épicerie juive. Le monde était en émoi et les manifestations d’indignation sont venue de partout face à ces attaques odieuses et barbares. L’OIF, n’était pas en reste et a su réagir. Espace d’échange, de solidarité, de coopération et de dialogue, l’Organisation se devait d’assumer pleinement son mandat en faveur d’un humanisme intégral, de la paix, de la démocratie, du renforcement de l’État de droit, de la défense des droits et des libertés, en ne ménageant aucun effort de diplomatie politique, mais aussi économique pour endiguer la pauvreté, le mal être des populations qui sont autant de facteurs de risque.

L’espace francophone est heurté de toutes part, comme le reste du monde et paie un lourd tribut. Espace de toutes les disparités, nous savons combien les organisations criminelles transnationales et terroristes trouvent dans la pauvreté un terreau fertile pour recruter des jeunes désespérés, désenchantés et dans en situation de précarité.

Ainsi, le mandat de lutter contre le terrorisme a été précisé clairement dans une Résolution adoptée par les chefs d’État et de gouvernement au sommet de Dakar en 2014. Une Résolution qui a condamnée fermement le terrorisme et réaffirmée la détermination des États à lutter ensemble contre les agressions constantes qui compromettent la paix, la sécurité internationale et le développement économique. »

Des efforts de l’OIF à relever les défis sécuritaires

« Les menaces asymétriques, la nébuleuse des organisations criminelles qui sèment la terreur pour isoler, déstabiliser nos pays, casser nos liens pour mieux contrôler des territoires, dégager les routes et les circuits de tous leurs trafics d’armes, de drogues et de personnes, exigent non seulement que nous intensifions nos actions, mais aussi une vraie mutualisation de nos moyens pour mieux anticiper, prévenir et protéger les populations.
Vous vous souviendrez que l’an dernier le personnel de l’OIF a aussi vécu directement la fureur insensée de cette barbarie lors de la prise d’otages à l’hôtel Radisson Blu de Bamako par une brigade terroriste. Je devais m’y rendre le lendemain. Les onze membres d’une équipe de la Francophonie qui m’y attendait ont connu l’horreur. L’un de ces collègues a été fauché par les rafales assassines des assaillants. Il était allé former les parlementaires maliens, un programme de l’OIF avec l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF).

Donc nous unir, rassembler tous nos moyens pour lutter plus efficacement et largement contre ce fléau est un plaidoyer que je porte partout, là où il le faut et jusqu’au Conseil de sécurité des Nations Unies, où aucun Secrétaire général de la Francophonie, avant moi, n’avait jusque-là été invité à témoigner dans cet hémicycle. J’ai multiplié par exemple les démarches pour faire entendre à la Communauté internationale l’extrême urgence d’apporter des renforts notamment à la Force africaine multinationale mixte dans la lutte contre Boko Haram, ou encore revoir le mandat des opérations de maintien de la paix pour une meilleure adéquation avec la réplique que l’on est en droit d’attendre pour mieux protéger les populations, mieux anticiper, en impliquant et en renforçant les capacités des pays eux-mêmes.

En juin 2016 à Paris, nous avons organisé une importante conférence internationale sur la lutte contre le terrorisme et la prévention de la radicalisation violente. Une conférence qui a connu une forte participation de haut niveau avec celle aussi du Conseil de sécurité des Nations Unies, de l’Union européenne, de l’Union africaine et d’autres partenaires régionaux et internationaux. Avec le ministère français de la Défense, les ministères des Affaires étrangères du Canada et de la Belgique, l’OIF est partenaire de la mise sur pied de l’Observatoire Boutros Ghali pour la paix, dont le siège sera situé à Bruxelles.

Le monde bouge, la Francophonie aussi. J’ai cherché, dès ma prise de fonction, à positionner clairement l’OIF sur la scène internationale. L’OIF est désormais plus entendue et plus reconnue comme un partenaire incontournable. L’Organisation est de surcroit plus attendue. Rien ne saurait arrêter le changement en marche. La Francophonie trahirait le projet de ses pères fondateurs si elle devait faire abstraction de la montée en puissance du terrorisme et de la radicalisation extrême, de l’aggravation des inégalités, du taux scandaleusement élevé et potentiellement explosif du chômage des jeunes, du non accès tout aussi scandaleux et économiquement pénalisant des femmes à l’emploi et aux responsabilités, du nombre jamais égalé, depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, de réfugiés et de déplacés, de la persistance de crises et de conflits intra étatiques, de la dégradation de l’état de notre planète. »

Michaëlle Jean termine en disant : « Je peux m’enorgueillir sincèrement de cette Francophonie résolument inscrite dans le monde, bravant les urgences, les défis et les menaces nouvelles. »

À mi-mandat, Michaëlle Jean a tenu à répondre ainsi aux observations émises par certaines personnes selon lesquelles, l’OIF s’éparpillait un peu trop et en s’éloignant de plus en plus de sa mission essentielle qui est de promouvoir la langue française et la diversité culturelle et linguistique. La Secrétaire générale de la Francophonie croit fermement, selon les éclaircissements apportés ci-dessus, que sa démarche et ses actions sont dans la ligne droite du mandat, des priorités et du plan stratégique de l’OIF. Pour ce faire, a-t-elle dit, il faudra multiplier les efforts pour élargir le cercle des partenaires de l’Organisation, trouver des moyens, accéder à des ressources budgétaires supplémentaires.

Il revient aux lecteurs de se faire une idée de ce l’OIF peut ou devrait, et d’en juger la pertinence, à la lumière de cet exposé.

Isidore KWANDJA NGEMBO, Politologue

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