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Entrevue avec Birame W. Ndiaye, auteur de « l’Afrique est saturée de sens – Les illusions immobilisent le continent noir »

Birame Waltako Ndiaye, auteur du livre « L'AFRIQUE EST SATURÉE DE SENS - Les illusions immobilisent le continent noir » paru aux Éditions L'Harmattan le 12 octobre 2020

Afrikcaraibmontreal s’est entretenu avec Birame Waltako Ndiaye, auteur du livre « L’AFRIQUE EST SATURÉE DE SENS – Les illusions immobilisent le continent noir » paru aux Éditions L’Harmattan le 12 octobre 2020. Lors de cette entrevue, le Canadien d’origine sénégalaise est revenu entre autres sur quelques exemples de ces illusions, le franc CFA (monnaie héritée de la colonisation et très controversée surtout en Afrique francophone), les APE (les accords de partenariat économique visant à développer le libre-échange entre l’Union européenne et les pays dits ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), la situation sociopolitique du Sénégal. Selon ce journaliste-chroniqueur, l’Afrique se trompe parfois de combat, frein de son développement socioéconomique. Pour celui qui a travaillé au ministère de l’Industrie du Sénégal en qualité de chef du bureau de presse et de documentation, l’Afrique peut s’en sortir malgré son passé coloniale, le poids de la tradition et l’ordre économique mondiale. Il suffit juste que le continent use de sa ruse ou son « intelligence situationnelle » pour y arriver. En résumé, l’auteur pointe du doigt les maux de l’Afrique surtout francophone, frein de son développement socioéconomique, et propose des pistes de solution.

Afrikcaraibmontreal: Bonjour M. Birame Waltako Ndiaye, « L’AFRIQUE EST SATURÉE DE SENS – Les illusions immobilisent le continent noir », c’est le nom que porte votre livre publié aux Éditions L’Harmattan en automne 2020. Pouvez-vous nous citer quelques exemples de ces illusions ?

Birame Waltako Ndiaye: Principalement, c’est de croire et de miser sur des idéaux, panafricanisme par exemple, qui n’ont rien à voir avec la réalité de la souveraineté et des compétitions entre les États africains. Il en est de même de l’ordre économique international auquel l’opinion publique africaine peine à s’adapter. En lieu et place, elle dépense l’essentiel de son énergie à décrier, en vain, les effets subis.
Les formules et méthodes attrayantes apprêtées d’aigreur et de ressentiment ne viendront pas à bout des défis criants de restauration de la dignité des africains. Les vaines démarches de réparation et de révision passéistes conduisent illico à la haine, lien asservissant.
Les illusions proviennent de représentations reproduites machinalement et dont certains font dépendre le salut des nations, énigme classique. C’est le moyen à la portée des égos qui évite et dédouane de la nécessité d’affronter ses propres démons.
Par exemple, il suffit de s’indigner de la politique étrangère de la France pour paraître patriote et séduire, au goût des va-t-en-guerre.

Y-a-t-il un moyen de faire dissiper ces illusions ?

Par réalisme, il faut nécessairement dépasser l’état fastidieux des plaintes et des complaintes débilitantes. L’histoire ne peut être envisagée comme un bloc compact, elle est mouvement actif et perpétuel. Le défi n’est pas tant de porter un jugement de valeur sur les modèles en vigueur. Il sera beaucoup plus opérationnel de se retrouver entiers et avisés dans le flot des courants, contraintes du moment.
Les carcans classiques suggèrent de combler des besoins de consommation, d’accumuler des biens, d’exiger des services sur la base des illusions de gratuité et de se proclamer libre en toute insécurité. L’Afrique ne peut pas se détourner dogmatiquement de cette réalité, mais elle doit également garder intacte la recherche consubstantielle d’équilibre et d’apaisement. Celle-ci implique renoncement, tempérance et amabilité. C’est possible à la condition de se servir convenablement des offres et des exigences du monde technique sans toutefois perdre de vue la nécessité, non pas de garder, mais de construire continuellement son originalité.

À vous lire, on dirait que les Africains s’apitoient trop sur leur sort.

La posture chiffonnée de victimisation nous abaisse. Elle nous confisque toute virilité d’homme libre, confiant et exubérant. Il est possible d’assumer pleinement et entièrement notre hétéroclite héritage culturel sans compromettre notre équilibre affectif ni renoncer à nos identités distinctives.
C’est le moyen à la portée des égos qui évite et dédouane de la nécessité d’affronter ses propres démons. Miser à répétition et sans succès sur l’étreinte intéressée du reste du monde pour ensuite se plaindre de suffocation. Certes, il y a un vif enlacement, mais il s’en suit des plaintes de l’Afrique chaque fois. C’est parce qu’elle ne cherche ni ne trouve agilité et astuce qui permettent dans la marche de prévenir les obstacles et anticiper sur les exigences.

Pensez-vous que Kémi Séba, un des activistes panafricains le plus en vue en Afrique francophone, et connu pour ses idées anticolonialistes (ex : combat contre le francs CFA), adopte une posture de victimisation ?

Il ne se victimise pas personnellement. Ce sont les idées creuses sur lesquelles il fonde son action qui constituent une posture attentiste. Lorsqu’il a été arrêté pour avoir brûlé un billet de banque, il avait écrit ceci : « « Je savais qu’en effectuant cet acte purement symbolique, la BCEAO, sans doute sur commande de la BANQUE DE FRANCE, engagerait une procédure visant à me mettre en prison. Je le savais, et je suis prêt à en payer le prix du PLUS PROFOND DE MON ÂME ». En voilà une preuve de bonne foi.
Par contre, l’indignation contre l’ordre économique international ne peut, efficacement, se substituer aux politiques publiques. Nous devons compter sur nous-mêmes et faire avec le reste du monde selon les règles du jeu en vigueur. C’est ce qu’a fait la Chine et tant d’autres pays émergents. L’essentiel est d’identifier les failles et de les exploiter au mieux. La condition d’un avenir radieux et durable n’est nul autre que notre capacité à nous défaire des aigreurs et du trop-plein de sentimentalisme. L’intelligence économique et le fonctionnalisme, c’est la voie de l’émancipation.

Pensez-vous qu’il faut se débarrasser du franc CFA pour que l’Afrique francophone se développe ?

La solution viable et pérenne pour un accès au crédit, par exemple, ne peut pas se dissocier d’une souveraine capacité à définir la politique monétaire nationale. Sous ce rapport, la France, garante de la convertibilité du franc CFA, n’est pas elle seule en cause.
S’il faut conserver l’espace commun entre les huit pays de l’UEMOA, l’indépendance monétaire ne sera envisageable qu’à la condition de réussir à respecter les critères de convergence économique telle que la maitrise des déficits publics. La fin du diktat est vivement attendue, pour une pleine maitrise de la politique monétaire. Si tant est que nous voulions sauver l’union monétaire sans la France, l’intégration économique doit d’abord se réaliser par la force de l’harmonisation des politiques économiques nationales et des choix stratégiques.
Des jusqu’au-boutistes dénoncent l’arrimage au franc CFA et prêchent la scission brutale. C’est bien beau, mais il est encore plus cohérent et méthodique de s’en prendre aux facteurs d’instabilité, de corruption et de laxisme qui nous condamnent à la dépendance. C’est dire qu’il est préférable d’avoir une indépendance monétaire et de conserver, en même temps, l’union économique et monétaire sous régionale. Pour autant, il ne faudra pas que cela débouche sur un chaos. Dès lors, les prérequis doivent être réunis, au préalable.

Dans votre livre, vous faites mention des APE (les accords de partenariat économique visant à développer le libre-échange entre l’Union européenne et les pays dits ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique). Est-ce que ce sera « un baiser de la mort » de l’Union européenne à l’Afrique si ces accords entrent en vigueur ?

Tant que les conditions d’un refus rentable ne seront pas réunies, tels des guignols, les Africains sautilleront, gambaderont, valseront, mais le franc CFA, les APE et d’autres mécanismes d’asservissement s’exerceront encore sur eux. Il y aura encore des résistants et leurs histoires fabuleuses et tout aussi sexy à enseigner aux enfants et aux petits-enfants, mais le démantèlement ainsi que la détérioration du cadre et des conditions de vie s’opèreront continuellement.
Il n’y a qu’à voir comment les gouvernants se plient aux injonctions des bailleurs et des organisations internationales. Il est facile, en périphérie, de les traiter de faiblards et de complices les dirigeants dépossédés. Mais derrière leurs apparences de béni-oui-oui se cache souvent un déchirement, le choix entre la collaboration qui inonde et la révolte qui ravage.
Par exemple, les batailles économiques entre la Chine, les États-Unis et l’Union européenne peuvent servir les pays africains à la seule condition que leur positionnement s’éloigne des postures misérabilistes de proies craintives. L’Afrique doit tirer profit de sa nouvelle condition de cœur et corps à prendre, en montant les enchères dans ses relations d’échange avec le reste du monde.
Oui, les APE entrainent une perte de recettes douanières, soit 17% pour le Sénégal. N’est-ce pas là un prix à payer? Cela n’empêche pas de miser, tout audacieux et entreprenant, sur la possibilité de générer des rentrées substantielles de devises et de richesses.

À la page 93 de votre livre, on peut lire que le budget de l’Union africaine repose à 75% sur des donateurs étrangers, potentiellement concurrents, comme l’Union européenne, les États-Unis, la Chine et la Turquie.
Pensez-vous que l’Afrique a les mains libres pour tirer profit de sa nouvelle condition de cœur et corps à prendre, en montant les enchères dans ses relations d’échange avec le reste du monde ?

À moins d’envisager la nationalisation des moyens de production, il est difficile de mettre en œuvre la charmante notion de préférence nationale. Monde ouvert, économies interconnectées, marché ouvert, il est insensé, après quoi, d’exiger de l’État que l’Économie nationale soit confinée partialement à des nationaux. Il faut nécessairement concilier cette approche d’un temps ancien avec l’objectif à la mode : attirer les investissements directs étrangers.
Tous les pays, y compris ceux développés, sont soumis à la même réalité de dépendance au reste du monde. Seules les distinguent leur capacité d’anticipation et de résilience. La longueur d’avance de certains pays ne doit pas décourager les autres. Elle doit les inciter à trouver des tactiques innovantes dans le jeu des intérêts de pays et de groupes de pays. C’est ce qui permet de déjouer les vices du commerce international.
La marge de manœuvre de l’État est sans cesse rétrécie par les coups de boutoir de la Finance internationale. Les relations bilatérales et multilatérales dictent leurs lois jusque dans l’orientation, l’arbitrage et la planification dans la gestion publique.

Vous êtes d’origine sénégalaise, quel regard portez-vous sur la situation sociopolitique actuelle du Sénégal ?

La seule donne politique qui a changé et qui prend de court les témoins et les acteurs est que Macky Sall s’est refusé le port à temps plein des habits embarrassants de père de famille. Avec ses adversaires politiques, il se comporte sans les habituelles considérations qu’implique son rang de président de la République. Quand il doit contenir une poussée fiévreuse, il fait usage de méthodes sans lesquelles il serait formellement attentiste dans un pré carré de discours policés et d’images plates. Dans le combat qui l’oppose aux opposants, il est président quand vient le temps de mobiliser les forces de défense et de sécurité. S’il faut jouer à malin, malin et demi, alors là, il se pare simplement des réflexes et ruses du ring, devenant ainsi gladiateur, et rien d’autre.
Abstraction faite des plus ou moins légitimes reproches que formulent les opposants au régime, il y a tout de même une volonté, de leurs parts, de créer les conditions de tension sociale de nature à secouer l’électorat pour un changement. Les actions pour y arriver ne visent pas nécessairement la déstabilisation du pouvoir, elles cherchent à persuader du pourrissement de l’atmosphère social et de la nécessité de virer les tenants du pouvoir.
En se chamaillant à la moindre occasion, les politiciens monopolisent l’attention des médias et font continuellement l’actualité. Ils plongent ainsi le pays dans une atmosphère tendue et persistante à longueur d’année.

Justement le comportement de la presse sénégalaise n’arrange pas les choses. D’ailleurs tout un chapitre de votre livre sous le nom de : « La presse sénégalaise, l’argent et la politique » en parle. À la page 87, début du chapitre, vous écrivez : « Si le Sénégal avait une bombe nucléaire, nos journalistes en dévoileraient le code ». C’est très dangereux, ça.

Les journalistes doivent considérer leur rôle avec beaucoup de rigueur. En l’exigeant de ceux qui font l’actualité, ils ont l’obligation d’en faire de même à leurs endroits. Ils ne peuvent pas dénoncer les conflits d’intérêts chez les autres et les accepter dans leur propre cas notamment en mettant en avant leurs propres promotions telles des stars de cinéma.
Certes, les médias ont contribué à l’émergence d’une conscience citoyenne et ont joué un rôle déterminant dans la transparence des scrutins de 2000 et de 2012. Toutefois, cet engagement n’est pas gage forcément d’une qualité de la presse. Il s’agit là d’une presse à scandales qui bafoue sans cesse les normes et principes déontologiques.
Par ailleurs, en s’inscrivant, en permanence, dans une logique de vedettariat, des journalistes ont toujours du mal à s’en tenir aux faits lorsqu’il s’agit de donner des informations. Pour continuer de se faire passer pour tribun et tamponnant, ils n’hésitent pas à verser dans la désinformation pour paraitre sexy aux yeux des boutefeux.

Pensez-vous que l’État peut faire quelque chose pour changer la donne ?

C’est le niveau de conscience citoyenne qu’il lui faut travailler. Parce que, tant que l’opinion s’intéressera davantage aux insulteurs et autres démagogues, le mal persistera. Il s’agit, en vérité, d’une crise de la démocratie, d’une crise de l’éducation. Comme quoi, tout est dans l’exigence citoyenne. À la mesure que les citoyens seront assez avertis pour exiger des professionnels de la presse rigueur et objectivité, une meilleure qualité du traitement de l’information sera au rendez-vous.

Avez-vous un mot à rajouter à propos de votre livre ?

Le message que j’essaie de lancer à travers ce livre peut s’entendre de la manière suivante. À la perspective des ruptures casse-cou, je dis non, niet. Il y a des équilibres que l’on ne défait que par méthode et discernement. Autrement, le chaos encouru est plus dommageable que le gain qu’on peut tirer d’un changement brusque et mal engagé. Une gouvernance intelligente avance quelquefois, recule souvent, attend parfois, puis opère opportunément. « Il faut prendre les choses comme elles sont, car on ne fait pas de politique autrement que sur des réalités ». Facile est de charmer par des cris de guerre et des raisonnements révolutionnaires. Mais, c’est par la conduites perspicace et prudente des affaires publiques que l’Afrique se remettra de son état de dominée.

Propos recueillis par Ansou Kinty

Lien pour acheter le livre:
https://www.editions-harmattan.fr/livre-l_afrique_saturee_de_sens_les_illusions_immobilisent_le_continent_noir_birame_waltako_ndiaye-9782343215099-67029.html

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