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Opinion/Louise Mushikiwabo est-elle la candidate idéale pour diriger la Francophonie ?

Louise Mushikiwabo, Secrétaire générale de la Francophonie


Une rumeur persistante, publiée dans Jeune Afrique, affirme que Louise Mushikiwabo, ministre rwandaise des Affaires étrangères, se porterait candidate pour succéder à Michaëlle Jean à la Francophonie.

Radio France Internationale en a rajouté, citant une source diplomatique à Paris, que : « les pays africains ont tiré les leçons de la précédente élection et négocient depuis des mois pour se mettre d’accord sur un nom. Il s’agit de Louise Mushikiwabo, ministre rwandaise des Affaires étrangères. Et il semblerait qu’Emmanuel Macron voit plutôt d’un bon œil sa candidature. »

S’agit-il d’un ballon d’essai ou d’une réelle volonté du Rwanda de prendre la direction d’une organisation dont il avait préalablement claqué la porte au nez ? Toutefois, l’intéressée ne s’est pas encore prononcée publiquement là-dessus.

Il paraît invraisemblable que le président Paul Kagame, qui entretient de bonnes relations avec Mme Jean, puisse lui opposer son ministre des Affaires étrangères à ce poste. D’ailleurs, il semblerait que c’est bien Mme Jean, alors gouverneure générale du Canada, qui aurait convaincu le président Kagame de ne pas quitter définitivement la Francophonie.

Mais si un tel scénario venait à se concrétiser, l’image de la Francophonie pourrait en prendre pour son grade. En effet, le choix du secrétaire général devrait être en accord avec les objectifs fondamentaux et missions originelles de l’Organisation, à savoir la promotion de la langue française et de la diversité culturelle.

Mais aussi, ce choix devrait répondre à la nécessité d’accompagner les efforts des États membres à respecter les valeurs communes, telles que la primauté du droit et les droits de la personne, la consolidation de la gouvernance démocratique et de l’État de droit, et la protection des libertés individuelles et publiques fondamentales, qui sont inscrites dans la Déclaration de Bamako, un texte de référence à portée normative et renforcée dans la Déclaration de Saint-Boniface.

Or, le Rwanda, son pays, a remplacé le français par l’anglais comme langue d’enseignement obligatoire dans le public et dans l’administration. Et depuis, seulement l’anglais et le kinyarwanda sont d’usage courant. On peut donc se demander si c’est ça le message que l’on veut lancer aux membres de l’OIF, notamment au Québec qui est très sensible à la problématique linguistique, qui occupe une place prépondérante dans le débat national.

S’agissant des valeurs fondamentales chères à l’OIF, sur lesquelles l’action du secrétaire général devra reposer, il suffit de lire les différents Rapports d’Amnistie internationale et de Human Rights Watch sur la situation des droits humains au Rwanda pour constater les défis énormes que ce pays a en ce qui a trait aux libertés publiques et individuelles. On ne peut parler de démocratie sans libertés publiques. Et dans ce pays, la voix de l’opposition politique est inaudible. Les opposants politiques et prisonniers d’opinion croupissent dans les prisons.

« Je trouve cela gênant qu’un président, qui est avec ses pairs ici au sommet de la Francophonie, vienne, ne pas discuter avec eux, mais dicter ce qui devrait se passer dans leurs pays. Je trouve cela d’ailleurs assez inélégant. Qui décide de l’avenir politique des Africains? Ce n’est pas Paris qui décide, c’est évident. Ceci dit, le président français peut bien exprimer son point de vue, il peut donner des conseils à ses pairs. Et là on va autant, autant aussi : « je suis ici à Dakar pour dire aux Africains. » Ce n’est pas normal. On est en 2014. » Propos tenus par Louise Mushikiwabo lors du sommet de Dakar qui avait porté Michaëlle Jean à la tête de l’OIF.

S’il advenait que la candidature de Mme Mushikiwabo soit adoubée par la France, elle devra au moins convaincre qu’elle serait la meilleure ambassadrice pour défendre et promouvoir la langue française dans les enceintes internationales.

En voulant coûte que coûte se débarrasser de Michaëlle Jean, on aura, non seulement commis une grave erreur d’appréciation, mais fait un mauvais casting en pensant que c’est Louise Mushikiwabo qui pourrait relever les défis auxquels l’OIF est confrontée.

Quel avenir pour la Francophonie?

Les enjeux sont trop importants pour faire un choix éclairé et judicieux quant à l’avenir de la Francophonie. Mais l’élection de Mme Mushikiwabo va incontestablement affaiblir l’action de l’OIF, tant dans ses mandats de plaidoyer pour l’usage de la langue française, que dans ses efforts pour promouvoir et consolider les valeurs démocratiques dans l’espace francophone.

Michaëlle Jean a été choisie par les chefs d’État et de gouvernement membres pour notamment mettre en place les bases permettant la création d’un espace économique francophone, conformément à la feuille de route dressée à Dakar. Un projet laborieux et de longue haleine qui exige à la fois une volonté politique des États et des ressources substantielles.

Mme Jean a abattu un travail titanesque durant son premier mandat qui mérite d’être salué. Alors que les caisses de l’organisation sonnaient creux à son arrivée en fonction, elle a procédé à des réorganisations internes pour répondre aux impératifs de gestion axée sur les résultats.

Bien que certaines décisions managériales prises par son administration, lui ont valu des critiques peu élogieuses, Michaëlle jean a su être à l’écoute et démontrer d’une réelle collaboration, à la fois, avec les États et gouvernements membres, mais aussi avec les organisations internationales et de la société civile, pour faire avancer les initiatives stratégiques de son organisation.

Elle fait un plaidoyer convaincant auprès des organisations internationales et régionales pour l’usage courant de la langue française, comme langue de travail et de communication interne. Elle accompagne les États membres dans la consolidation des valeurs chères à l’Organisation, notamment en mettant l’accent sur les processus électoraux et le renforcement de la démocratie.

«Emmanuel Macron a souvent dit que pour la Francophonie, le centre de gravité se situait quelque part du côté du bassin du Congo. » Propos d’une source diplomatique citée par RFI

Certes, la France est un membre éminent qui apporte une contribution substantielle au budget annuel de l’OIF, mais la Francophonie ce n’est pas que la France. La Francophonie, c’est 84 États et gouvernements membres et observateurs. Si, pour des raisons de politique nationale, la France décide de jeter son dévolu sur la candidature rwandaise, en faisant fi des appels du pied lancés par le Canada, le Québec et bien d’autres qui souhaitent la reconduction de Mme jean, pour consolider les actions entreprises, cela équivaudrait à une gifle en plein visage des partenaires majeurs qui contribuent au bon fonctionnement et au rayonnement de la Francophonie.

Si les chefs d’État et de gouvernement acceptent de lui renouveler leur confiance, Michaëlle Jean devra au moins écouter les recommandations des premiers ministres canadien et québécois, du président français et de bien d’autres chefs d’État qui exigent vivement des changements dans l’administration et la gestion interne de l’organisation. Ainsi, elle pourra ouvrir une nouvelle page et entamer son second mandat avec un nouvel élan et une nouvelle dynamique.

Isidore KWANDJA NGEMBO, Politologue et ancien Conseiller à la direction Afrique centrale du ministère des Affaires étrangères du Canada

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