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Dany Laferrière : Une soirée parmi les mortels

« Ce n’est pas tous les jours qu’on a la chance de passer la soirée avec un immortel », a lancé avec humour l’actrice et présidente de l’événement Fabienne Colas, sous les rires de l’assemblée réunie dans l’auditorium de la Grande Bibliothèque de Montréal.

Officiellement membre de l’Académie français depuis mai dernier, Dany Laferrière est en effet le premier Québécois à siéger parmi les « immortels » de la littérature francophone. Un titre qu’il a accueilli avec une boutade, soulignant être aussi « le seul à avoir pensé à envoyer sa candidature ».

Les organisateurs du festival Haïti en Folie, qui s’est tenu dans la métropole du 20 au 25 juillet 2015, ont donc logiquement placé la rencontre avec l’écrivain sous le signe de la simplicité. L’auteur de L’énigme du retour était en effet ce jeudi 23 juillet au centre d’une discussion intitulée « À cœur ouvert avec Dany Laferrière ».

Mais le destin d’académicien, en plus de la vie éternelle, apporte aussi son lot de décorum : la première moitié de l’événement a été consacrée aux multiples discours d’éloges et remerciements prononcés par diverses personnalités publiques telles que Justin Viard, Consul Général de la République d’Haïti à Montréal, et Christiane Barbe, présidente-directrice générale de Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
Une heure de superlatifs, c’est un peu long, même pour des amateurs de littérature.

On ne peut donc que relever l’ironie (involontaire ?) de M. Laferrière lorsqu’il a, un peu plus tard, vanté les mérites du silence, « riche de sa gratuité ».
Mais gageons que l’éloquence incontestable de l’écrivain a néanmoins réjoui ses auditeurs lors de la seconde moitié de la discussion, animée par la directrice de l’École nationale de l’humour Louise Richer.
C’est en effet avec ce mélange subtil de badinerie et d’érudition qui lui est propre que l’enfant de Petit-Goâve a jonglé avec les thèmes de l’émigration, du succès et bien sûr, de l’écriture.
Morceaux choisis.

Dany Laferrière se définit avant tout comme un lecteur qui écrit, avec l’intention de « déplacer la signification du mot écrivain. »
Mais que signifie donc l’acte d’écrire pour l’homme aux presque trente livres ? Ceux-ci lui fleurissent au bout des doigts, admet-il : il ne cherche pas à écrire, il attend que les livres viennent.
Et ce qui fleurit sur sa page a bien souvent le parfum des mangues mûres, de la nostalgie et de l’amertume. « Ecrire, c’est rassembler autour de soi les gens qu’on aime », constate l’auteur de L’odeur du café, qui se souvient avoir entamé un roman pour revoir sa grand-mère, convoquer autour de lui des présences chères, des sensations, un univers tangible et fictif à la fois. Car en dépit de la dimension autobiographique de ses ouvrages, la fiction n’est jamais à exclure. Une fiction d’un type particulier, puisqu’elle vise à « magnifier la vie la plus quotidienne, la rendre plus belle que la beauté dans la réalité. »

Dany Laferrière écrit ce qu’il croit, et affirme : « C’est dans la fiction que je dis vrai. » Une magie contagieuse, à en juger par l’anecdote de sa tante Raymonde. Après s’être vue attribuer une robe grise dans un des romans de son neveu, elle se serait mise à chercher ladite robe parmi sa garde-robe chatoyante. À ses proches lui faisant remarquer qu’elle n’avait jamais possédé de robe de cette couleur terne, elle aurait rétorqué :« Mais si : Dany l’a écrit. »

Celui qui dit être né écrivain au Québec affirme en effet qu’on n’écrit pas pour s’enfoncer dans sa nature, on écrit pour sortir de soi. « Il faut gonfler le volume de la vie ».

Et pour cela, il préconise de n’attendre l’autorisation de personne. « Être écrivain est une décision qui se prend seul, et bien avant d’écrire. C’est une obsession, une posture », martèle l’académicien, ex-« écrivain qui travaillait à l’usine ».

D’où le caractère accessoire du sujet, source de tourment pour bien des auteurs en herbe. Dany Laferrière conseille de ne pas trop se soucier des idées et de la sacro-sainte notion d’histoire –pour lui, il n’y a rien d’autre que le style.
« Des histoires il y en a trop. Un livre est fait de rien, c’est une musique que l’on entend. Ce dont on a besoin, c’est de vos veilles, de votre angoisse, de votre mort. »
C’est pourquoi il partage généreusement ses propres idées, sans crainte qu’on les lui vole : ses veilles et ses angoisses, nul ne pourra les lui prendre.

Et de rappeler, fort à propos : « L’important, c’est la première phrase de la page. Le reste, c’est de la mondanité. »

Xuan Gagneur Ducandas

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