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CYRILLE GIRAUD : TOUTES LES NUANCES DE VERT

Il est le candidat du Parti vert du Canada dans Laurier-Sainte-Marie. Franco-canadien, ce Montréalais depuis 2003 est un militant de longue date, engagé en politique auprès d’Europe Écologie Les Verts tout d’abord, puis candidat de Projet Montréal aux municipales de 2013. Pour les élections fédérales du 19 octobre prochain, ses défis sont multiples : ramener la question environnementale au cœur des préoccupations des électeurs mais aussi rappeler que le programme des Verts ne se limite pas à cet enjeu, loin de là. Une tâche difficile, sachant que le parti d’Elizabeth May est souvent malgré lui le grand absent des débats. Or l’optimisme de Cyrille Giraud est à la hauteur de ses convictions : réaliste mais solide. Entre deux activités de campagne, il a accordé une interview à AfrikCaraibMontréal.

Disponible et dynamique, Cyrille Giraud arrive tout sourire dans un petit café de Villeray. « J’aime le fait d’encourager des commerces de quartier plutôt que les grandes chaînes », souligne-t-il. Il faut dire que le candidat du Parti Vert travaille dans le milieu de la finance et fait de la lutte contre l’évasion fiscale un de ses chevaux de bataille. Si l’écologie est au centre de son investissement militant et politique depuis de nombreuses années, les notions d’éthique et de transparence sont également au cœur de sa campagne. Cyrille Giraud souhaite montrer que les Verts ne sont pas le parti d’un seul enjeu. Au cours de l’entretien, tout passe en revue, de la question des immigrants et des réfugiés (le Parti vert est favorable à ouvrir davantage les frontières du Canada) à celle du statut des femmes (encore trop absentes en politique selon lui), en passant par son propre parcours d’immigrant aux origines multiples, favorable à l’interculturalisme. Extraits.

AfrikCaraibMontreal : Beaucoup d’électeurs qui se retrouvent dans le programme du Parti Vert penchent toutefois pour un vote plus « stratégique », favorisant un parti moins proche de leurs idées mais ayant plus de chances de l’emporter contre le gouvernement en place. Qu’en penses-tu?

Cyrille Giraud : Nous sommes les éternels « numéro deux » dans les choix des électeurs. Dans Laurier-Sainte-Marie par exemple, le credo est « On veut se débarrasser de Harper ». Mais dans cette circonscription, il est sûr et certain que ce n’est pas un conservateur qui va gagner, il ne s’agit donc pas d’un bon calcul. Au contraire, cela divise le jeu de la démocratie. Et si tout le monde porte collectivement le NPD pour avoir un gouvernement majoritaire, on va obtenir le même effet pervers qu’actuellement. On se retrouverait de nouveau coincés sur des projets comme celui du pipeline[1] par exemple, auquel le NPD n’est pas farouchement opposé, bien au contraire. Avec le nombre de partis politiques qu’on a aujourd’hui, le plus avantageux est de faire le jeu de la diversité et des coalitions. Il y a aussi la question de la juste représentativité des gens par la démocratie : on représente environ 7% des votes au pays, la logique voudrait qu’on ait 7% d’élus aussi, soit une vingtaine. Là, on n’en a que trois. On est face à un déni de démocratie. De plus, les gens se disent verts mais le restent rarement lorsqu’il s’agit de voter, ou à leur petite échelle.

AfrikCaraibMontreal : Comment appliques-tu un mode de vie vert au quotidien?

Cyrille Giraud : Dans ma vie de tous les jours, j’évite au maximum le gaspillage alimentaire. Trente pour cent de ce que nous produisons comme nourriture passe à la poubelle. C’est énorme! Je fais aussi attention aux emballages; ce sont des gestes quotidiens. Chacun de nous est sensible à des aspects différents : c’est en échangeant que l’on peut être cohérent dans ce qu’on fait dans la vie de tous les jours. De plus, je me définis comme « flexitarien », même si beaucoup n’aiment pas l’expression. Je n’achète quasiment jamais de viande, j’en mange parfois lorsque je suis invité, ou au restaurant. Je ne prône pas le véganisme absolument pour tout le monde, car je préférerais que 97% des gens réduisent leur consommation de viande plutôt que 3% seulement soient véganes. Mais je suis toujours très content de manger avec des véganes, ils me font découvrir toutes sortes de saveurs.

L’éducation des jeunes à l’alimentation santé, et l’accès aux aliments frais sont également des enjeux importants. À Montréal, il y a des déserts alimentaires, au point où les personnes âgées ou handicapées ne peuvent pas s’approvisionner en produits frais sans prendre les transports en commun, et sont donc obligées de se rabattre sur un dépanneur : c’est un problème de sécurité alimentaire. Je pense également à l’étiquetage des OGM qui n’est malheureusement pas obligatoire ici.

AfrikCaraibMontreal : Tu travailles dans la finance, milieu qui n’a pas nécessairement les faveurs de l’opinion publique. Comment concilies-tu ta profession et ton engagement politique?

Cyrille Giraud : Les gens s’imaginent souvent que je suis trader sur les marchés, alors que mon métier est de vérifier le travail des représentants en épargne collective. Je m’assure que les professionnels de la finance vendent des fonds d’action dans l’intérêt de leurs clients, et non pas seulement pour toucher une commission. Je travaille donc sur les questions éthiques. Il y a une cohérence avec les enjeux qui me préoccupent sur le plan politique, comme la question des paradis fiscaux. Est-ce éthique de faire affaire avec des compagnies qui font des profits ici avec l’argent des consommateurs mais créent ensuite des sociétés-écrans dans des paradis fiscaux plutôt que de payer de l’impôt ici ? Je trouve qu’il s’agit là d’une question essentielle, qui nous touche tous, et les gens n’y sont pas assez sensibilisés.

AfrikCaraibMontreal : Est-il possible que la plupart des gens pensent ne pas avoir le bagage technique pour bien saisir ces enjeux?

Cyrille Giraud : Ce n’est pas si technique que ça. Prenons un exemple avec la société Starbucks. Nous, quand on paie un café ou un chocolat à 3, 4 ou 5 piasses, ils sont censés payer environ 25% d’impôts sur tout cet argent amassé. Sauf qu’ils peuvent très bien envoyer leurs bénéfices à une société-écran basée dans un paradis fiscal et ne payer que 2 ou 3% d’impôts. Ces 25% que l’on perd, qui ne vont pas dans les caisses du budget fédéral, ils auraient pu être investis par le gouvernement dans les routes, les transports, la santé, l’éducation, la culture. Mais cet argent-là disparaît et les citoyens n’en profitent pas. Donc quand on consomme auprès d’une société qui fait de l’évasion fiscale, on l’encourage. Ce n’est pas très compliqué, mais c’est vital de le comprendre.

Combien de milliards partent dans l’évasion fiscale, et que pourrions-nous faire avec tout cet argent ? Selon les chiffres de Statistiques Canada, il y a 170 milliards de dollars canadiens en circulation dans le monde, issus de l’évitement fiscal. Comparons ce chiffre avec la situation de Radio-Canada par exemple : ces 15 dernières années, le radiodiffuseur public a subi des coupures budgétaires pour économiser 750 millions de dollars. Qu’est-ce que ça représente, par rapport aux 170 milliards perdus ? C’est notre culture que l’on met en péril.

Et là je ne parle pas seulement d’évasion fiscale mais aussi d’évitement fiscal, soit les pratiques qui consistent à tout faire pour contourner le fisc en profitant des failles dans la législation. Tout cela est possible car les gouvernements successifs se sont montrés complaisants vis-à-vis de ces contournements.

Je pense que c’est vraiment la responsabilité du politique de sensibiliser les gens sur ces questions, d’être capable de vulgariser et de rendre les informations accessibles à tout le monde pour qu’ensuite les gens puissent se faire une opinion, et décider quel type de gouvernance ils veulent au niveau de l’impôt. Plus il y aura de personnes conscientisées par rapport au problème des paradis fiscaux, plus on fera avancer les choses, même si c’est un travail de très longue haleine.

AfrikCaraibMontreal : Et une fois conscientisés, que peuvent faire les citoyens pour lutter concrètement contre les paradis fiscaux ?

Cyrille Giraud : Il faut bien sûr, dans un premier temps, appuyer ceux qui ont vraiment la volonté politique de combattre le problème. Consommer local, privilégier les petits commerces de quartier, c’est très important. Faire attention aussi à sa dépense d’énergie; le but n’est pas de cesser d’utiliser du pétrole demain matin, cela n’arrivera pas et ce n’est pas ce que l’on demande, mais que les gens réduisent leur consommation autant que possible. Avec le pipeline, on sait que c’est exactement l’inverse : l’objectif est d’accroître la production de pétrole issue des sables bitumineux -qui met en danger les populations autochtones notamment- pour l’exporter. Donc on n’en profitera même pas. Consommer intelligemment. Consommer en ayant une conscience sociale.

AfrikCaraibMontreal : Quels sont les plus gros enjeux des prochaines années pour le Parti vert ?

Cyrille Giraud : Le virage vers l’économie verte. Je trouve cette expression vraiment superbe car elle lie les deux notions d’environnement et d’économie. L’économie est ce qu’il y a de plus important pour les gens. Le Parti vert est toujours numéro deux dans le cœur des électeurs parce qu’ils s’inquiètent pour l’environnement, certes, mais au moment d’aller voter, ils se disent : mais celui-là m’a promis que j’allais payer moins d’impôts… On a tendance à avoir une vision très court-termiste. C’est aussi parce que les partis traditionnels proposent une vision politique très court-termiste en termes d’échéances. Mais je suis réaliste, on partage les torts : c’est aussi la responsabilité du Parti vert, et des partis verts en général, de réussir à faire passer leur message. Si on n’est pas capable aujourd’hui d’avoir plus que 7% dans les suffrages, c’est parce qu’il y a un problème, il faut aussi qu’on soit capables de revoir notre système de communication peut-être, de mieux faire passer l’information et sensibiliser le monde. Mais j’ai bon espoir.

AfrikCaraibMontreal : Justement, y a-t-il des faits méconnus ou des idées erronées courantes au sujet du Parti vert ?

Cyrille Giraud: Oui. Le stéréotype veut que l’ont ne se préoccupe que d’environnement. Pourtant, si vous regardez notre plateforme, nous sommes présents sur tous les sujets.

Par exemple, le Parti vert avait été le premier parti fédéral à se prononcer en faveur du mariage pour les personnes de même sexe. À l’époque, ce positionnement avait été jugé novateur et farfelu, comme notre position en faveur d’une législation et d’une taxation du cannabis aujourd’hui. Mais peut-être que dans dix ans cela sera passé dans les mœurs, et nous aurons été les précurseurs. Rien n’est figé, les lois sont faites pour évoluer.

Le Parti vert soulève des questions à long terme. C’est très dur de sensibiliser les gens à ce qui peut se passer dans plusieurs années… On cherche de la croissance à l’infini; ce qu’on a du mal à assimiler, c’est que les ressources de la planète ne sont pas infinies. On fait croire aux gens que la croissance économique va être la source de leur bien-être. Mais à côté de ça, le coût de la vie augmente continuellement, et les salaires n’augmentent pas dans la même proportion. Pourquoi? J’en reviens aux paradis fiscaux. Ça joue énormément. Il y a 630 milliards de dollars qui dorment dans les coffres des compagnies et des banques. C’est de l’argent qui est notamment issu des exemptions fiscales : les gouvernements successifs font baisser les impôts pour garder les entreprises ici. Sauf qu’elles ne créent pas d’emplois, elles ne réinvestissent pas cet argent-là mais le mettent de côté. On a donc présentement des réserves hallucinantes dans les caisses des banques.

AfricCaraibMontreal : Quels vont être les principaux défis du Parti vert à court et moyen terme ?

Cyrille Giraud : Pour l’élection, cela va être d’avoir plus d’élus. On est dans la situation complètement irréaliste d’être très actifs sur le terrain, d’avoir des projets excellents, portés sur le bien-être des gens, et d’être quasiment absents du Parlement. Le travail réalisé par Elizabeth May est titanesque.

Pour les prochaines années, on n’a pas besoin d’espérer une catastrophe pour que les gens réagissent enfin, un autre Lac Mégantic ou un déversement de pétrole dans le Saint-Laurent. Les preuves sont déjà là. On peut voir les dégâts causés par l’exploitation des sables bitumineux : l’état de la forêt boréale, les paysages lunaires et dévastés en Alberta, l’empoisonnement de la faune et de la flore aquatique qui empêche les populations autochtones de vivre de la pêche comme auparavant, les taux de cancer hallucinants au sein de ces mêmes populations… C’est une forme de génocide qui ne porte pas son nom ce qui est en train de se passer, c’est terrible.

Pourtant il existe des alternatives au pétrole, on peut développer l’énergie solaire, l’éolien qui n’est pas encore parfait mais peut être une source non négligeable, l’énergie marémotrice aussi qui peut être une grande fournisseuse d’énergie propre, une fois qu’on aura mis en place les infrastructures. On ne dit pas qu’il faut passer à l’un ou l’autre à 100%, on va plutôt vers la diversification : il faut que ce soit un cocktail de toutes les énergies.

On propose aussi de travailler sur l’isolation des maisons, et contre les lobbies pétroliers. Mais ce sont des changements qui prennent tellement de temps que les gens ont du mal à y adhérer sur des élections à court terme. Notre responsabilité est de faire passer le message de façon durable, compréhensible et accessible. Pour moi c’est ça le plus gros défi.

AfrikCaraibMontreal : Et cela passe aussi par la balance du pouvoir ?

Cyrille Giraud : Oui. Même si c’est l’expression consacrée, je ne l’aime pas du tout. Je préfère parler de « balance de la gouvernance ». Le but n’est pas d’avoir le pouvoir mais de gouverner de façon juste et équitable pour la population. Et j’aimerais qu’on soit capables d’atteindre cet équilibre-là, d’appuyer le gouvernement minoritaire si on trouve que ses projets ont du sens, au lieu de s’y opposer systématiquement par partisanerie. J’insiste vraiment sur ce mot-là, la gouvernance. C’est beaucoup plus important que le pouvoir. Le pouvoir c’est pour soi-même, la gouvernance c’est pour les autres.

Xuan Ducandas, journaliste indépendante

http://parkssa.com/

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