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Au-delà de la musique, Degg J Force 3 encourage la jeunesse à travers leurs projets de solidarité

Les frères M'baye: Moussa (à gauche) et Ablaye (alias Skandal) du groupe Degg J Force 3 lors de leur passage à Montréal en juillet 2018

Originaire de la Guinée Conakry, le groupe Degg J Force 3 s’est produit lors de la 32e édition du Festival international Nuits d’Afrique qui s’est tenu à Montréal au mois de juillet dernier. Afrikcaraibmontreal a profité de l’occasion pour interviewer Moussa M’Baye et Ablaye M’Baye (alias Skandal), deux frères et membres fondateurs de ce groupe de musique qui oeuvre aussi dans l’humanitaire plus particulièrement dans l’éducation et la conscientisation des jeunes.

Vladis Lim : Bonjour, Moussa et Ab(dou)laye, bienvenue à la 32e édition du festival Nuits d’Afrique a Montréal. Est-ce que vous êtes déjà venu à Montréal avant?

Moussa: On va dire, 5-10 dernières années on vient souvent à Montréal. Nous avons enregistré ici notre dernier album a 40-50% et puis quelques part on a une partie de la famille ici, donc, c’est aussi en tant que producteurs qu’on a un label de production et de management qui s’appelle Meurs Libre Prod’ implanté à Montréal depuis 3-4 années, et nous en tant qu’artistes, on a chaque été une tournée qui passe par Montréal, ça s’appelle Guinean Urban Tour, donc cette année on l’a pas fait parce que justement on avait un festival Nuits d’Afrique qui était une très bonne occasion pour nous de communiquer avec le grand public.

VL: Parlons de la musique guinéenne qu’on connait grâce aux grands comme Mory Kanté et Sekouba Bambino. La musique hip-hop est moins connue en Guinée qu’au Sénégal, le marché sénégalais du hip-hop est beaucoup plus grand et les rappeurs sénégalais voyagent et se produisent souvent à l’extérieur du pays. Comment est-ce que vous percevez cette différence et représentez la musique guinéenne en tant qu’un groupe de rap? Est-ce que vous vous positionnez ainsi ou c’est la musique guinéenne que vous représentez avant tout?

Ablaye: Nous, à la base, c’est clair que c’est une formation qui fait partie du hip-hop, mais c’est assez diversifié, dans notre hip-hop comme vous l’avez vu dans le concert, vous avez un peu de tout, donc ça a du dance-hall, du reggae, aussi aujourd’hui de l’afro dans le hip-hop. C’est vrai que le marché sénégalais est très important, à la base les artistes sénégalais ont été les premiers à sortir du continent et a représenter d’ailleurs valablement le continent via la musique, mais aujourd’hui il y a un véritable marché […] des projets qui se font en Guinée, l’un des plus gros marchés dans la sous-région aujourd’hui passe par la Guinée, le plus grand public aujourd’hui de la musique urbaine se trouve dans la Guinée. Il est vrai qu’il y a un travail à faire pour faire sortir cette musique urbaine au-delà de la Guinée, une chose qu’on est en train de faire depuis quelques années via le projet Guinean Urban Tour, dont on a déjà parlé. Aujourd’hui, on essaie d’emboiter les pas de Mory Kanté, de Sekouba Bambino pour essayer de faire connaitre le pop guinéen, le pop africain davantage.

VL: Trouvez-vous que la jeunesse de Dakar et de Conakry écoute principalement la même musique?

Moussa: Le Sénégal est très actif sur la musique locale, le mbalax. Depuis quelques années, ils ont une tendance à s’ouvrir à la musique des autres pays de l’Afrique, mais nous on pense que, par exemple, la Guinée, on a la chance d’avoir un public qui absorbe beaucoup de musique, qui écoute de tout, qui aime le dance-hall autant que le rap, autant que le reggae, autant que la musique locale, et toute sorte de musique passe par là, et on peut avoir le plus grand public. Tu ne peux pas faire un concert à Conakry à moins de 25 mille personnes, ce n’est pas possible. Donc il y a une vraie explosion du spectacle en Guinée et c’est devenu important pour tous les grands artistes internationaux de passer par la Guinée parce qu’après la Guinée tu peux dire, voilà ce que j’ai fait, j’ai rempli un stade, parce que le public guinéen, ils sont fous de musique et ils sont complètement ouverts à ça.

VL : Alors, ou est-ce que vous aimez jouer le plus dans le monde?

Ablaye : Il est clair que c’est magnifique de jouer sur les scènes comme les scènes des Nuits d’Afrique, il faut le faire dans sa carrière, c’est magnifique de rencontrer d’autres publics, d’autres façons de faire, d’autres mentalités, et de pouvoir sortir sa musique de la maison et de faire des belles choses comme représenter le pays ailleurs, ça c’est très très très important pour nous, mais… c’est pas mieux, c’est magique de jouer en Guinée, tout simplement. Le public est chaleureux, ils chantent du début à la fin tous les morceaux, chaque mot de chaque morceau, et c’est magnifique, c’est magique! Il n’y a pas un public meilleur que ça, mais aujourd’hui il est important pour nous de rencontrer le public comme à Montréal, par exemple, qui ne connait aucun morceau ou qui ne connait pas la plupart des morceaux, mais qui ont chanté avec vous, répété les choses avec vous, et ça c’est magique aussi.

VL : Parlons un peu du football. En 2015, vous avez fait une chanson sur la Coupe d’Afrique des Nations. Est-ce que vous avez suivi la Coupe du Monde cette année? Et qu’est-ce que vous en pensez?

Ablaye: Définitivement, nous on aime bien le foot, on est des fervents supporters du Syli National, l’équipe guinéenne, donc le remix de Gbin Gbin Soo avec Banlieuzart était un succès aussi. On a suivi la Coupe du Monde, il y a eu beaucoup de surprises, beaucoup de rebondissements; on attendait des trois équipes comme l’Argentine ou comme le Portugal ou le Brésil qui sont passés à côté de la plaque. On a vu une belle équipe croate et une belle équipe de la Belgique, une belle équipe du Sénégal qui malheureusement a été éliminée aux cartons jaunes! C’est vraiment pas de bol! Mais la surprise vient de la France, ils ont rapporté la Coupe du Monde, chapeau pour eux. Ils ont mérité, mais j’ai vu des belles équipes et j’ai pensé que la Belgique aurait été un beau champion… ou le Sénégal (rires).

VL : Expliquez-nous vos projets en dehors de la musique, votre engagement politique, social et culturel.

Ablaye et Moussa: On préfère un engagement social plutôt que politique!
Moussa: C’est important pour nous d’avoir une position de contrepoids, de contre-pouvoir. Mais on pense que le combat est ailleurs, il est sur le travail du changement dans la mentalité, sur le travail de l’éducation. Donc on préfère toujours se tourner vers la population guinéenne, vers la population africaine, vers la jeunesse pour travailler avec eux pour dire il est possible de réussir, il est possible d’avancer, il est possible de changer les choses, mais pour que ça vienne de nous. Et ça passe par l’éducation, aller se former, et accepter de bien se former pour pouvoir prendre la relève, proposer un nouveau citoyen africain conscient des enjeux politiques mais aussi des enjeux de développement, voilà pourquoi nous on travaille beaucoup dans l’éducation. On fait venir des manuels scolaires à travers une association qu’on appelle « 7ème continent », et on a plein d’autres partenaires qui sont en France avec qui on fait des conteneurs de manuels scolaires, de lits d’hôpitaux, parce que pour nous, il est important que les jeunes lisent et se forment, et au-delà de la musique, on a envie de participer dans ce développement. On a aussi d’autres projets, comme par exemple notre projet actuel qu’on appelle « Falé », c’est entreprendre réussir chez nous, pour dire aux jeunes africaines que ça sert à rien d’aller se jeter à la mer ou mourir dans la clandestinité, d’arriver en Europe et devenir sans-abri et sans-papiers. Il est important qu’ils sachent qu’on a des modèles de réussite dans notre pays qui sont parti de rien, qui n’ont même pas souvent été à l’école, mais qui sont devenus des grands entrepreneurs et qui ont aujourd’hui les entreprises les plus crédibles au pays et qui n’ont rien à envier aux entreprises ailleurs.
Ablaye: Notre dernier album « Dynastie » d’où vient le morceau « Falé » ayant donné le nom a notre projet, traite de l’immigration clandestine, parce que la vérité cruelle c’est que dans mon pays, il y a beaucoup de jeunes qui, à cause de la pauvreté, du manque d’infrastructures, du manque d’opportunités, se jettent malheureusement à la mer. Alors ce projet, entreprendre réussir chez nous, nous permet de lier l’acte à la parole en essayant de partir sur le terrain dans leur milieu direct pour discuter avec eux de leurs aspirations et observer des jeunes qui ont déjà envie de faire des petites entreprises, des start-ups et d’essayer de les subventionner, à titre d’exemple. On sait que ça va pas forcément éradiquer le fléau, mais au moins ça va montrer combien de fois on a envie que nos frères arrêtent d’aller mourir dans les airs et dans la mer pour rien du tout, parce que seulement là où ils vivent c’est chaud pour eux. Il y a des possibilités réelles de réussir chez nous, ce n’est pas facile mais c’est possible.

VL : Est-ce que vous collaborez avec d’autres artistes comme par exemple Faada Freddy du Sénégal lui aussi engagé dans les projets de l’éducation, ou encore Didier Awadi qui le fait à travers sa musique consciente qui parle de la situation au pays, et non seulement au Sénégal mais partout en Afrique ou il y a des problèmes communs. Trouvez-vous du support chez d’autres musiciens?

Ablaye: On est dans ce qu’on appelle la médiation culturelle et on fait beaucoup de morceaux dans ce sens, pour Ébola, pour le SIDA, pour le palu[disme], pour le diabète, mais aussi pour la paix, et souvent, en local, on le fait avec pas mal d’artistes. Par exemple, si je prends le cas d’Ébola, quand l’Ébola est arrivé en Guinée, on a fait un morceau avec des autres artistes guinéens et internationaux dont Sekouba Bambino, Didier Awadi, ou William Baldé de la France. On a beaucoup travaillé avec Faada Freddy et Didier Awadi sur notre premier album d’où vient le plus gros morceau qu’on a fait, le plus gros succès qu’on avait eu avec Faada Freddy (avec « Cri du cœur » en 2001), on se parle régulièrement avec Didier Awadi et c’est un véritable support pour nous, c’est un grand frère, un exemple pour nous qui nous donne des conseils.

Moussa: On a travaillé avec le Togo à travers l’orphelinat de King Mensah, parce qu’en fait il est arrivé un moment en Guinée où on n’avait pas de possibilité de travailler avec la France à cause de tensions politiques, donc ce qu’on a fait, les conteneurs qu’on avait l’habitude de prendre en France pour amener en Guinée, on a dirigé ça vers le Togo et le Bénin.

VL: Est-ce que vous revenez à Montréal?

Moussa et Ablaye: On aimerait bien de revenir souvent à Montréal, cette année on a fait un festival Nuits d’Afrique, c’est lourd, on espère que l’année prochaine on va faire tout le Québec, et qui l’année qui va suivre on va faire tout le Canada!

VL:Je vous remercie beaucoup et donc à très bientôt!

Moussa et Ablaye: C’est nous qui vous remercions!

Propos recueillis par Vladis Lim

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