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À la rencontre d’Hâgar, entretien avec Mounia Chadi

Rencontrée quelques jours avant la présentation de la pièce, l’auteure Mounia Chadi nous parle d’Hâgar. Personnification d’une lutte d’émancipation des femmes, celle qui occupe dans l’histoire religieuse un statut de figure fondatrice de la civilisation arabo-musulmane se trouve appelée à poursuivre jusque dans le monde d’aujourd’hui son combat.

La pièce Hâgar et la source sera présentée dès vendredi le 8 février. Qu’est-ce qui vous a conduit à vouloir rendre hommage à Hâgar?
Hâgar, je l’ai rencontrée alors que je faisais mon doctorat en sociologie à Paris. Je me suis spécialisée dans l’étude du monde musulman et des femmes musulmanes et quand je travaillais à comprendre l’histoire de l’Islam, j’ai été fascinée par la figure d’Hâgar. J’ai découvert certains travaux qui soutiennent que le mythe fondateur de la nation arabe et de la nation musulmane, c’est Hâgar. Quand je l’ai rencontrée, je lui ai dit : « Hâgar, je vais te lever haut, je vais écrire une pièce de théâtre pour toi ! »

Voudriez-vous nous expliquer un peu la place qu’occupe cette figure dans l’histoire religieuse?
Hâgar est l’esclave de Sarah, la femme d’Abraham. Auparavant, elle a été l’esclave du Pharaon, qui l’a donnée en cadeau à Sarah. Il s’agit d’une figure partagée par les religions abrahamiques. Rappelons que dans les grandes religions, Abraham occupe la position d’un prophète, d’un patriarche qui est aussi très riche. Comme Sarah et Abraham atteignent l’âge de 100 ans sans jamais avoir eu d’enfants, Sarah est désespérée. Elle dit à Abraham : « Je t’offre mon esclave, tu peux avoir un bébé d’elle. » Hâgar aura Ismaël mais un miracle arrive, Sarah tombe enceinte d’Isaac. À ce moment-là, un conflit va se produire parce qu’il y a un héritage en perspective et deux enfants : l’enfant de l’esclave et celui de la maîtresse. Hâgar se sent tellement oppressée qu’elle va fuir. Lorsqu’elle tente de revenir, Sarah ordonne à Abraham de la laisser au désert. Alors qu’elle se trouve sur le point de mourir, errant dans la soif et la faim avec son enfant, l’ange Gabriel va lui apparaître et lui dire : « Hâgar, tu ne vas pas mourir, voilà la source. » Elle boit à la source et elle fait boire son enfant… Sa vie est sauve !

Dans la mythologie, cette femme a été fondatrice parce qu’elle s’est installée dans le désert et les caravanes s’arrêtaient devant elle puisqu’elle possédait la source. À partir de là, s’est constitué un peuple, qui a grandi, qui a grandi et Ismaël est considéré dans la religion musulmane comme le grand-père ancêtre du prophète de l’Islam, Mahomet. De la même façon, Isaac est considéré comme le grand-père ancêtre de la religion juive. On est donc devant la figure d’une femme qui a été esclave du pharaon, puis ensuite de Sarah et d’Abraham, porteuse d’un bébé pour le couple et chassée dans le désert, son enfant dans les bras et qui devient ensuite la matriarche, la première femme d’une nation.

S’agit-il d’une figure encore célébrée dans le monde arabo-musulman?
À La Mecque, il existe une source qui représente celle où Hâgar a bu de l’eau et qui s’appelle Zamzam. Cette eau est considérée comme bénite et quand les gens vont au pèlerinage en Arabie Saoudite, il arrive qu’ils reviennent avec des grands bidons de cette eau. Il y a également un rituel qui s’appelle Safa et Marwa, qui consiste à faire des allers-retours en relation à Hâgar. Lorsqu’elle est perdue, confuse et angoissée dans le désert avec son enfant qui est sur le point de mourir dans ses bras, Hâgar fait des allers-retours d’impatience. Jusqu’à présent, elle est donc présente dans les rituels de cette tradition.

Qu’est-ce qui distingue le regard que porte votre pièce sur cette figure?

On a voulu souligner la grande volonté, la grande personnalité de cette figure féminine. Souvent, on la présente davantage comme esclave, comme souffrante. On est pourtant dans la mythologie et quand les anges parlent aux humains, c’est un miracle et ces humains deviennent des prophètes. On n’est pas habitués de voir une femme prophétesse et un des premiers à l’avoir abordée de cette manière est le philosophe Spinoza.

Dans Hâgar et la source, vous donnez un visage contemporain à cette figure. À quoi ressemble celle que va connaître le public?
L’idée artistique est de revisiter l’Histoire. Dans cette pièce, Hâgar a une fille plutôt qu’un garçon, on en fait donc une subversion. Hâgar se présente sous trois figures d’une même lignée, des origines à notre époque et celles-ci sont interprétées par trois artistes. Une de ces trois figures est opprimée par son mari, Abra de même par un docteur qui veulent la contrôler, la manipuler, l’enfermer, l’utiliser comme cobaye scientifique. Ce qu’ils font sous prétexte qu’eux se soucient d’elle et veulent aider à la libération de la femme. Dans ce cas, Abra représente bien entendu le nouveau patriarche. Nous reproduisons la mythologie dans l’histoire moderne, on crée une symétrie avec le mythe originel et on voit des femmes qui se trouvent au milieu du désert, de l’oppression, de la détresse et du patriarcat arriver à se relever, à retrouver leur liberté.

Quelles revendications actuelles porte cette œuvre?
Bien sûr, la pièce adopte une posture féministe. Elle évoque toutes les questions relatives à l’enfermement des femmes, à la violence faite aux femmes, à la manipulation à leur égard et aussi à la sous-estimation et à la dévalorisation du rôle historique des femmes

Quels sont vos projets artistiques pour l’année 2019?
Je continue d’écrire et je mets de plus en plus l’accent sur le théâtre. D’ailleurs, on peut lire plusieurs de mes écrits littéraires sur mon site, La Narratrice Al-Rawya.

Propos recueillis par Alexis Lapointe

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